Billy Wilder nous convie à visiter les coulisses du vieil Hollywood et nous livre, par la même occasion, un chef d’œuvre savamment équilibré et d’une grande liberté de ton pour l’époque. A cela s’ajoute une interprétation de tout premier ordre. L’histoire est celle de Norma Desmond, grande actrice du muet, qui vit recluse dans sa luxueuse villa de Beverly Hills en compagnie de Max von Meyerling, son majordome, qui fut aussi son metteur en scène et mari. Joe Gillis, un scénariste sans le sou, pénètre par hasard dans la propriété et Norma lui propose de travailler au scénario du film qui marquera son retour à l’écran. Joe accepte, s’installe chez elle, à la fois fasciné et effrayé par ses extravagances et son délire, et devient bientôt son amant...
Fidèles compères depuis leurs débuts vers 1942, les scénaristes Charles Brackett et Billy Wilder ont collaboré de façon complémentaire durant les années 40 (le premier intervient comme producteur tandis que le second réalise), signant bon nombre de chefs d’œuvre comme « Assurance sur la mort » (1944) ou « La scandaleuse de Berlin » (1948). Leur dernière création constitue l’apogée de leur style, faisant de « Sunset Boulevard », en 1950, l’œuvre la plus marquante sur un Hollywood déclinant et sans aucun doute l’un des meilleurs films de Billy Wilder.
Cet opus crépusculaire conte avec subtilité et réalisme la disparition progressive d’un monde balayé par la modernité. Dès les premiers plans, le cinéaste impose son style grâce à des décors gothiques qui semblent d’un autre âge et l’intrusion de la voix off d’un personnage déjà mort. Cette voix d’outre-tombe nous accompagnera tout au long de ce voyage au pays des figures de cire d’un cinéma muet à jamais enseveli. Ainsi entrons-nous dans le monde des vieilles gloires hollywoodiennes oubliées du grand public qui se murent dans le silence comme dans un caveau. Pour donner vie à ce monde pétrifié, Billy Wilder a eu le coup de génie de demander la participation de vraies stars déchues du cinéma muet. En premier lieu, la volcanique Gloria Swanson qui n’avait tourné qu’un seul film entre 1934 et 1950 et pouvait ainsi retranscrire à merveille les crises morales de cette vedette oubliée. Non seulement l’actrice n’hésite pas à s’enlaidir et à accentuer les stigmates de la vieillesse, mais elle ose aussi se moquer d’elle-même et de son propre jeu maniéré et daté. Cet exercice de style, qui tient à la fois de la confession intime et de l’autodérision, touche le spectateur par son incontestable authenticité. Les cinéphiles sont également comblés lorsqu’ils entendent Erich von Stroheim évoquer son passé de cinéaste et ses heures de gloire anciennes.
En mettant à nu le tragique désarroi de ces anciennes stars, Billy Wilder s’en prend à la fois à la vanité d’un monde entièrement basé sur les apparences et règle ses comptes avec un système cruel qui broie les individus au nom de la sacro-sainte rentabilité. Sans jamais faire appel à l’artillerie lourde, sa mise en scène est exemplaire par son extraordinaire fluidité et ses plans-séquences très élaborés servis par un narratif précis et fort bien construit. On ne peut être qu’admiratif devant ce bijou intemporel, sublime par son évidente efficacité, universel par la profondeur de sa réflexion et l’empreinte que laisse chaque individu malgré l’inexorable passage du temps. 1