J'y repense depuis hier soir et le souvenir est un peu vague. Ca aurait été tellement plus simple d'en tomber amoureux ou de le trouver raté. Mais la vie n'est pas si simple...
Avant toute chose, il faut souligner que "Boyhood", avant d'exister, était un chef-d'oeuvre. A-t'on conscience de l'ambition et de l'organisation nécessaires pour un tel projet ? L'un des personnages dira au héros que la détermination peut mener très loin. Celle dont a dû faire preuve Richard Linklater pour mener le projet à bien relève, à ma connaissance, de l'inédit : un long-métrage sur la famille où les mêmes comédiens sont filmés pendant douze ans. "Boyhood" est l'un des très rares longs-métrages où l'enjeu logistique est aussi l'enjeu artistique. Le film a été vendu sous cet aspect : un film, une troupe d'acteurs, douze ans de vie. Ce pari de cinéaste est aussi un pari de producteur : que se passe-t'il si un acteur décède, tombe malade, ou ne peut tout simplement plus participer au projet ? Un cauchemar d'assureur doublé d'une utopie filmique, l'enfant n'étant bien sûr pas en âge, à l'époque des faits, de signer lui-même son contrat pour un projet d'aussi longue haleine.
A l'heure où un film comme "Le Congrès" d'Ari Folman livre une déclaration d'amour inquiète au cinéma, présentant un monde où l'acteur disparaîtrait complètement au profit de son avatar virtuel, et où Jamel Debbouze surfe sur la Performance Capture pour s'organiser un déjà sinistre "Pourquoi j'ai pas mangé mon père" qui lui permet de "partager" l'affiche avec Louis de Funès, la démarche de Linklater est terriblement salvatrice. Pourtant, l'homme n'est pas passéiste : voir le boulot accompli sur son "A Scanner Darkly", adaptation du "Substance mort" de Philip K. Dick animée par des comédiens rotoscopés. On devine d'ailleurs dans "Boyhood" quelques effets spéciaux invisibles, dont une partie de Bowling entre un père et ses jeunes enfants où, floues à l'arrière plan, la boule et les quilles répondent avec précision aux exigences du script, entre strikes imparables et ratages complets. Une pure supposition, la scène pouvant très bien être le fait de lancers à répétition jusqu'à la bonne prise.
Des moments comme celui-ci, bourrés de chaleur humaine, "Boyhood" en regorge. L'ennui, c'est qu'il compte trop sur les souvenirs de son public. Noble, il se veut proche des gens qui viendront le voir, et se résume souvent à des événements communs, trop banals. La durée laissait entendre que Liknlater avait eu mille idées pour alimenter son script. Le film reste pourtant assez plat une fois passée sa meilleure partie, consacrée à l'enfance. D'un naturel sidérant, elle est à la fois très simple et très complexe, le retour d'un père absent donnant une dynamique grisante au récit. Fuyant les artifices inutiles, Linklater n'use d'aucun carton, d'aucune marque temporelle pour articuler la suite des événements. A nous d'observer les personnages changer, prendre quelques rides ou quelques centimètres. En cela, "Boyhood" est un film intègre, qui plus est traversé par un humour jamais forcé.
Ma plus grosse réserve, et de taille, concerne le comédien principal. Bluffant au début du film, il devient irritant une fois dépassée la quinzaine. On me dira que ça fait partie du jeu, que l'on est pas censé tout aimer d'un personnage cinéma, qu'il ne doit pas forcément répondre à un idéal. Certes, mais je le trouve quand même méchamment tête-à-claques, sans que l'écriture ne le rende intéressant à côté. Visiblement pas d'accord avec moi, Richard Linklater lui réserve une conversation avec son beau-père où l'homme lui reproche son attitude dédaigneuse, sa voix snob, ses grands airs blasés... Bref, tout ce qui rend le protagoniste aussi insupportable que la façon dont le comédien l'incarne. L'adolescent réagit avec un mépris profond, affectant son petit sourire en coin habituel et tournant les talons avant que l'autre n'ait fini sa phrase. Boum, dégagé le daron. Pouvoir à l'endive. D'ailleurs, le beau-père disparaît du récit suite à cet échange. Dur de faire plus signifiant...
Pas habitué à employer le "Je" pour une critique, cela m'a paru nécessaire pour signifier que cet avis n'est pas définitif ni incontestable. Difficile d'en dire plus sur "Boyhood" sans gâcher le plaisir de ceux qui iront le voir. Tout comme il est impossible d'enlever au film sa sincérité. Mais j'ai souvent eu l'impression d'avoir à me contenter des intentions. Réitérant l'un de ses plans-signature (les amateurs de la trilogie "Before..." le repéreront très vite), Linklater est bien l'auteur de "Boyhood". J'ai pourtant eu du mal à me sentir vraiment concerné. Peu convaincu par un dialogue final qui souffre du côté pédant de son héros, ce dernier échange prend pourtant place dans un décor et une atmosphère bien vues, comme un instant a priori anodin mais qui n'appartient qu'à nous. Un moment furtif comme "Boyhood" sait en proposer. Pas assez, néanmoins, pour que le film soit à la hauteur de mes attentes...
Reste un immense espoir : les futurs DVD & Blu-Ray, dont on espère qu'ils proposeront des suppléments à la hauteur de ce projet fou.