Le Temps est assassin et emporte avec lui les rires des enfants.
Grandiose ! Sûrement le film le plus accompli de Richard Linklater. Toujours là, le gars, depuis Before Sunrise, toujours à filmer des gens comme ça qui grandissent, qui connaissent l'amour, qui rompent, qui vivent leur vie quoi. On peut dire ce que l'on veut sur Linklater, il reste l'un des cinéastes américains contemporains qui savent le mieux donner la température d'une époque, et d'une génération. Et Boyhood est probablement son travail le plus mûr, le moins instinctif en tous cas, celui où il épuise son idée sans se poser de questions, et sans se sentir coupable. Parce que voilà, Before Sunrise, c'était très joli, comme petite bluette adolescente, mais il y a eu une suite, très réussie elle aussi d'ailleurs, mais qui dénature un peu le beau projet du premier film : filmer un simple amour, évanescent, éphémère.
De son passage par la case des auteurs indépendants US, Linklater conserve certains tics de mise en scène, dans l'utilisation de la musique, dans les états spleeniques et légèrement torturés de ses personnages, mais finalement très peu. Non, réellement, on a là une très belle chronique, sacrément authentique, qui sait jouer sur le dialogue mais qui sait aussi jouer sur les silences. C'était peut-être cette dialectique qui faisait le sel d'un Before Sunrise et qui ont conduit à considérer Linklater comme un auteur de la parole, du dialogue. Mais ici, et je persiste à le dire, Linklater a mûri. Et sa tranche de vie, étirée sur plusieurs années, donne le sentiment d'une étrange respiration. Pas d'enjeux a proprement parler, juste des petites séquences de vie filmées avec beaucoup d'humour mais aussi avec beaucoup de pudeur. Et surtout filmées toujours à hauteur de son héros. C'est pour ça que dans ses premiers temps, le film cultive cette naïveté proustienne de l'enfance, justement parce que toutes les scènes y sont filmées avec cette candeur enfantine, qui, on le sait bien, ne durera pas. Au fur et à mesure que Mason grandit, la réalisation de Linklater se fait plus grave, sans jamais toutefois pousser l'excès de la perversion. C'est là l'océan qui sépare une bouse comme "Le Premier jour du reste de sa vie" toute en grandiloquence larmoyante et l'humilité gracile de Boyhood, sa virtuosité narrative discrète.
Et que dire à part multiplier les dithyrambes ? Pas grand chose finalement, juste que le film est suffisamment subtil pour toucher n'importe qui. J'espère que vous vous identifierez comme j'ai pu m'identifier, j'espère que vous vous reconnaîtrez là-dedans. Et j'espère que, comme moi, vous lâcherez une larmichette.