Un projet dingue et insensé à l’approche artistique expérimentale peut donc donner naissance à un vrai film de cinéma, riche et solide. En faisant s’écouler son histoire sur une décennie et en choisissant de tourner en temps réel avec les mêmes acteurs, Linklater va encore plus loin que sa trilogie Before (Sunset, Sunrise, Midnight), introspection d’un couple sur trente ans, déjà foncièrement novatrice.
Si Boyhood est une indéniable réussite, c’est que le réalisateur ne se laisse jamais dépasser par son concept et à toujours en tête de suivre un fil directeur fort mais simple, celui de présenter la chronique d’une famille américaine et de capturer ce temps qui passe, qui bouleverse et transforme les vies au gré des événements et des épreuves qui le jalonnent. Le réalisateur saisit ces moments avec une intelligence remarquable et un sens du montage quasi miraculeux. Il parvient en effet à atteindre une fluidité narrative assez inespérée, malgré les évidentes ellipses, et ne perd jamais de vue que le socle de son récit est l’évolution de ses personnages, leurs interactions, le parcours des uns par rapport aux autres. A ce titre, il aura aussi fallu à Linklater une bonne dose de chance en plus de son talent, qui réside essentiellement dans le choix de son casting initial, formidable de bout en bout, chacun donnant à son personnage une constance et une cohérence bluffante dans le temps. Si Ethan Hawke et Patricia Arquette étaient déjà des acteurs confirmés, le pari que constituait le choix des deux enfants est admirablement réussi. Le jeune Ellar Coltrane, sur qui le projet repose en grande partie, traduit avec beaucoup de précision et de justesse le passage de l’enfance à l’âge adulte de Mason Junior, lui donnant concrètement corps et le rendant particulièrement attachant.
Pouvant compter sur des acteurs investis, le réalisateur construit une fresque tendre et subtile, sans oublier le côté ludique et pop du concept en captant l’ère du temps de chaque époque (la guerre en Irak, Britney Spears, Dragon Ball, Obama…). Mais il ne perd jamais de vue qu’il raconte une histoire, qu’il fait évoluer des personnages et reste constamment concentrer sur le quotidien de cette famille étalée sur 10 ans, plaçant son spectateur en empathie avec elle sans jamais en faire un voyeur.
Au-delà de son concept fou et à l’ambition monstre, Boyhood atteint une certaine vérité et conserve une humilité remarquable. S’il aurait gagné à être encore plus condensé (le dernier quart d’heure n’est pas nécessaire), on assiste malgré tout à une épopée intime unique et saisissante.
Marquant, sans l’ombre d’un doute.