J'allais commencer mon avis sur Brazil en affirmant que c'est par lui que j'ai rencontré mon Terrychou Gilliamounet.
Je me suis reprise car en fait, le premier échange de regard langoureux en lui et moi a eu lieu devant une troupe revisitant le Moyen-Âge avec un immense bonheur. D'aucun diront que comme Terrychou Gilliamounet cotient la caméra avec son compère l'autre Terry mais Jones celui-là, ça ne compte pas. Sa spécialité : faire des merveilles en collages cartoonesques.
Bref, les initiés me suivent, les autres, entrez dans la secte Pythonesque et pis c'est tout !
Après l'aveu de cette erreur impardonnable, j'en viens donc à cette oeuvre majeure du cinéma des années 80 et du cinéma d'anticipation en général.
Dans le premier film américain en solo de ce membre émérite du cercle fermé d'humoristes britanniques, dont il est le seul et unique membre américain, l'humour usité par la troupe n'est pas de mise. Même si l'absurde est bien là, l'oeuvre est plus sérieuse bien qu'elle ne se prenne pas plus au sérieux que son réalisateur.
Premier long en solo réalisé aux USA disais-je et première bataille avec les studios (Universal ici => bouh les vilains) qui ne comprennent déjà (encore ?) rien au génie du Môssieur. Les producteurs sont d'emblée dépassés par la noirceur et la complexité du propos exposé par le réalisateur. Il faut dire qu'il mélange avec bonheur Kafka et Orwell ce charmant plaisantin et quand on a des dollars à la place des neurones, eh ben c'est pas gagné d'avance.
Brazil aura ainsi deux versions. La version studio (américaine) et celle voulue par son auteur celle distribuée en Europe. L'une aura une fin d'une absurdité sans nom et d'une incohérence totale avec le reste du métrage.
3 versions donc : Une de 94 minutes à éviter, une de 132 et la seule voulue par l'artiste, celle de 142 minutes.
Où et quand sommes nous ? Rien n'est moins clair. "Quelque part au vingtième siècle" sont les seules indications géographiques et temporelles qui nous sont données. En 1985, Gilliam nous donne à vivre un cauchemar. Il nous transporte dans un monde pré Thatcher et Reagan en fervent adversaire d'une politique qui n'existe pas encore.
Rare et visionnaire qu'il est, j'vous dis, mon Terrychou Gilliamounet ! Son exploration de la surconsommation, du terrorisme, état liberticide, incommunication malgré la surenchère des moyens, sont encore plus d'actualité trente ans après le tournage du film.
Je cite : " La volonté de contrôle, quasi maladive, de l'Etat n'est quoi qu'il en soit pas une nouveauté. Une organisation se doit de survivre, donc elle doit combattre le terrorisme, et pour ce faire elle en vient à adopter les méthodes invasives qu'elle est censée combattre, et qui contribuent à leur tour à l'émergence de nouvelles formes de terrorisme. C'est sans fin." T.G.
Sam Lowry, notre héros, est l'un des rouages de l'administration de la ville-monde décor haut en couleur crée de toute pièce par l'imaginaire fertile du réalisateur. Dans cet univers post-moderne répressif, Lowry est un pion qui évolue non pas entre rêve et réalité mais entre rêve et cauchemar. L'onirisme est le seul moyen que ce bureaucrate a trouvé pour échapper à la lourdeur administrative écrasante. Lowry entre en lutte face au monde qui l'entoure et dont il veut s'extraire par amour. Vivant dans ses rêves pour fuir sa triste et terne réalité, il se réveille quand il croise la femme de ses rêves en chaire et en os. Jill existe bel et bien et elle se rebelle contre l'ordre établi. Pourquoi ?
La faute à une mouche écrasée ! Un simple diptère qui enclenche l'appreil administratif de la ville-monde de manière inébranlable et définitif.
Evidemment que Sam est l'alter ego du cinéaste. Un doux rêveur qui se cogne aux contraintes qui lui sont imposées, dont l'imaginaire est sans cesse brimé par les contingences extérieures... Jonathan Price prête avec grand talent son corps à cette personnification
Les autres personnages ne sont pas en reste ! Les acteurs choisis ne sont pas étrangers au succès et à la postérité du film. Outre Katherine Helmond en mère farfelue et abusive de Lowry et Kim Greist en fantasme incarné, Jonathan Price est entouré de Robert deNiro (la mouche du coche), Ian Holm, Bob Hoskins, Michael Palin (le vestige Pythonnesque) ou Jim Broadhent.
Brazil est un film monde, un film monstre qui assume ses références (Fritz Lang, Einsenstein...) autant qu'il sera un modèle pour les générations futures.
Une oeuvre d'une richesse tellement incroyable qu'elle est capable de surprendre le spectateur qui le regarde pour la quinzième fois.