Elle a choisi la vie, Maya
S'il y a une chose qu'on peut reprocher à Ken Loach, par ailleurs doté d'une considérable aura compte tenu du fait qu'il est à peu près le seul cinéaste à réussir à se sortir du marasme cinématographique britannique, ce serait quand même une certaine pesanteur... Des films lourds, peuplés de personnages trop pleins de leur propre signification et de leurs rêves pour grandir. Finalement, je trouve que les personnages de Loach sont toujours de beaux êtres humains, mais souvent de mauvais personnages.
Et je pensais ainsi jusqu'à ce que je voie ce "Bread and Roses".
Alors je dois déjà vous dire que je venais de sortir d"It's a free world...", qui ne m'a pas beaucoup plu, et que je vais assez fatalement en arriver à beaucoup de comparaisons entre ces deux films. Bon, j'espère que vous ne m'en voudrez pas, d'autant que ce ne serait pas le rapprochement le plus artificiel qu'on puisse faire : deux personnages principaux féminins, en galère dans le milieu du travail, en gros.
Sauf que ce défaut de Loach dont je parlais plus haut, cette pesanteur, qui se retrouvait particulièrement chez un personnage comme l'Angie d'"It's a free world...", se démenant de partout, virevoltant et faisant des pieds et des mains, mais toujours avec une certaine gravité, dans un défaut assez récurrent chez Loach :
Le personnage est plus un archétype social qu'un personnage et, plus grave, c'est un archétype qui se regarde agir et faire ses trucs d'archétype, appuyé par une mise en scène visant à conduire le spectateur à une conclusion : Avec tout ce qu'il fait de bien, ce personnage devrait être récompensé, axe menant à une double fin, le fameux Oh-il-a-perdu-c'est-beaucoup-trop-tragique-snif/ Oh-il-a-gagné-c'est-un-grand-héros-de-la-lutte-sociale*wesh-wesh.
Sauf que, ben... Quand on regarde les films de Loach avec un oeil un peu moins engagé que celui du réalisateur, ben on se rend compte que, cinématographiquement, c'est quand même un peu faible, et même que Loach ne fait parfois que se servir du médium pour servir un message politique, ce qui, outre questions morales ou idéologiques, est quand même très peu efficace car assez rapidement soûlant.
Sauf que, dans "Bread and Roses", le postulat est tout différent ! Maya, même si elle peut être facilement rapprochée d'Angie de par son sexe ou sa nature quelque peu hyperactive, est traitée de manière diamétralement opposée.
D'un côté, la lourdeur, la pesanteur qui caractérisait chaque action d'Angie, accentuée dans la mise en scène par des images très peu léchées, collant le plus possible au réalisme, sans style ajouté. Ca fait très reportage documentaire dans l'enfer du travail clandestin, en définitive, et la mise en scène ne se met jamais vraiment du côté du personnage qui essaye de s'en sortir. Du coup, pas ou peu d'empathie pour Angie alors que le propos est censé nous faire apprécier son caractère, nous faire comprendre ses épreuves et les solutions alternatives qu'elle trouve.
Parallèlement, Maya va être suivie, dans un traitement très américain je vous l'accorde, mais sans que cela porte atteinte en bien ou en mal au film, comme un réel personnage solaire. Les réponses aux situations de crise rencontrées par les personnages, de pesantes, gonflées de leur propre importance et de leur propre symbolique, se transforment en mouvements pleins de rires et de vie. Les personnages, et Maya en particulier, trouvent une couleur et un réalisme propres aux personnes réelles et inaccessibles aux archétypes, forcément plus "purs".
Quand on y pense, c'est le sujet même du film : la reconnaissance des travailleurs et de ceux qui réclament plus de justice sociale comme des êtres humains plus que des quémandeurs inopportuns. Il en tire d'ailleurs son titre, contraction d'un slogan traditionnel des manifestants américains du début du XXème siècle : "We want bread, but roses too." : Nous voulons pouvoir vivre, mais aussi être heureux.
Et bien c'est ce que résume assez parfaitement le personnage de Maya, et la façon dont il est mis en scène.
ATTENTION SPOILERS BREAD AND ROSES et IT'S A FREE WORLD...:
Tout cela paraîtrait d'ailleurs un peu trop beau, si Loach n'avait pas inséré quelques éléments n'allant pas dans le même sens que ce combat idéalement mené.
La fin, bien sûr, mais aussi le personnage de la soeur/connasse magnifique : Rosa, au rôle assez ambivalent, et dont on peut d'ailleurs penser qu'elle a fortement inspiré le personnage d'Ange dans "It's a free world...", et plus particulièrement sa morale toute relative, teintée d'individualisme dès qu'elle doit choisir entre les siens et ceux dont elle se sent moins proche tout en en étant responsable. Une touche d'un réalisme modifiant profondément le ton du film, le faisant tomber de son piédestal d'angélisme, dans un entre-deux plus réaliste et plus cohérent avec l'oeuvre de Loach.