Breathless (2009) – 똥파리 / 130 min.
Réalisateur et scénariste : Yang Ik-June – 양익준.
Acteurs principaux : Yang Ik-June –양익준 ; Kim Kkobbi – 김꽃비 ; Jeong Man-Sik – 정만식 ; Lee Hwan – 이환 ; Yoon Seung-Hoon – 윤승훈.
Mots-clefs : Corée ; Violence ; Société.
Le pitch :
Leader impitoyable d'une bande de voyous, Sang-hoon met toute sa rage dans son métier de recouvreur de dettes. Sa vie et son quotidien sont une histoire de violence, à tel point qu'il semble incapable d'exprimer son attachement. Mais le hasard met sur son chemin Yeon-hee, une jeune lycéenne, au passé étrangement similaire au sien et qui va lui tenir tête. Peu à peu, ces deux paumés vont s'apprivoiser et s'évader ensemble d'un monde fait d'inhumanité.
Mais Sang-hoon peut-il pardonner ? Et surtout, peut-il être pardonné ?
Premières impressions :
Il y a dix minutes que j’ai terminé le film. Un peu hagard j’allume la bouilloire et me prépare un thé mécaniquement, puis je me glisse devant mon ordinateur pour écrire. Bien que je sois non-fumeur depuis toujours, j’ai envie de fumer. Breathless vient de m’assommer. Oh, ce n’est pas le premier film coréen que je vois qui aborde la violence, ce n’est pas le choc d’une première fois. La violence dans les films coréens je m’y suis habitué depuis longtemps, et puis la violence chez Yang Ik-June est assez classique et montre finalement bien plus une caméra qui tremble que du sang qui gicle.
K.O.
J’ai envie de pleurer. Je réprime le sentiment en serrant ma tasse de thé. Pour la plupart des spectateurs occidentaux, Breathless ne sera qu’un film violent de plus, un film coréen indépendant au rythme un peu lent et au sentimentalisme un peu facile. Un énième film de salauds qui en rajoute des tonnes sur la violence de la société coréenne… Mais pas pour moi… Voilà un an et demi que je tâche d’écrire un livre d’entretiens réalisés en Corée avec des femmes et bien quatre ans que je discute en profondeur de la condition féminine avec mes amies coréennes.
Elles s’appellent Yeo-jin, Geo-woon, Gyu-ri, Joon-hee ou Seung-yeon… Combien d’amies, combien de connaissances, dans combien d’interviews ai-je entendu des histoires similaires de violences « domestiques » ? Vous pensiez que ce film était une fiction n’est-ce pas ? Que la Corée du Sud ne pouvait pas être aussi sale que ça, avec tout son bling bling, sa K-pop, ses téléphones de luxe et ses gamines souriantes en mini-jupes. Les noms s’accumulent dans mon esprit, je pensais en avoir rencontrée trois ou quatre, mais en à peine dix minutes voilà que je peux coucher huit noms… Merde, un neuvième me vient en tête… Je n’ose même pas regarder mes contacts dans Kakaotalk, le messenger coréen, je sais que j’en trouverais facilement quatre ou cinq de plus.
C’était un soir au bar à Seoul... Entre deux gorgées de bière Seung-yeon venait de me dire que la marque sur son visage n’était pas due à une mauvaise chute sur un coin de table mais à son père qui l’avait tabassé un soir. La violence était régulière, mais ce soir là, il avait pris un marteau. Gyu-ri, c’était un tabouret que son père lui avait jeté au visage. Yeo-jin… Yeo-jin me racontait comment elle serrait son petit frère dans ses bras quand son père battait sa mère. Joon-hee elle, elle s’était enfuit de chez ses parents à Busan pour vivre à Seoul où une autre raclure la viola un soir en sortant de boite. Pas plus tard qu’hier, Tae-Ran, me disait que sa mère n’osait plus rentrer du travail le soir, son frère a des accès de violence, comme son père en avait… Pourtant c’est un bon gamin, je l’ai rencontré, il est poli, il cuisine… Et puis, il y a Seung-shin dont je n’ai plus de nouvelles depuis un an et demi et qui nageait alors en pleine dépression… Elle aussi son père battait sa mère avant que celle-ci ne trouve le courage de le quitter. Est-elle seulement encore vivante ? Je ne la retrouve plus sur facebook alors que je connais bien cinq des faux noms qu’elle y utilise.
Ouai, bien sûr Breathless ne pourrait être qu’un film violent de plus au pitch improbable. Quelque part il l’est, il concentre cette violence au travers d’un ramassis d’usuriers, mais tout ça n’est qu’un prétexte, un cadre cinématographique car l’essentiel du film se concentre sur la violence domestique, celle qui se passe tous les jours sous les yeux des enfants en Corée. Breathless est le premier film de Yang Ik-June (The Poet and The Boy ; A Quiet Dream). Il y est à la fois réalisateur, producteur, scénariste, monteur et acteur principal… Un film écrit en vingt-trois jours tiré en grande partie de son histoire personnelle. Croyez-vous encore qu’il ne s’agit que d’un film violent de plus ?
« Mouche à merde » de son titre original tente de faire face au problème. Un problème sociétal qui est rarement pris au sérieux. Le film parle frontalement de la violence des hommes. Celle qui se passe entre eux d’abord, celle qui vient de l’éducation, des traumatismes de la guerre et qui se perpétue dans le service militaire, puis dans la société civile. Il parle de ces hommes pressurés, qui n’ont pas appris à s’exprimer et qui perpétuent le schéma. Il parle surtout de la violence conjugale qui en découle, des femmes et des enfants qui subissent et qui réagissent parfois. "Mais pourquoi tu ne te défends pas, imbécile ?" hurle l’anti-héros à la lycéenne qu’il vient de tabasser… Enfin, il parle de ce rêve de tous, de sortir du cycle infernal.
03h18 du matin. Je bosse demain… J’aimerais parler des acteurs, de la performance de Kim Kkobbi (Suneung/Pluto ; Myselves), de la présence de Jeong Man-Sik (Veteran ; Inside Men ; The Murderer), mais je dois me lever tôt demain et je tiens à terminer cette critique ce soir, pour conserver l’émotion. J’aurais dû faire plus court, être concis, éviter de parler de moi, mais ce soir j’avais besoin d’écrire. Le plus terrible dans tout ça, c’est que je ne me souviens plus clairement du contexte de toutes ces violences que l’on m’a raconté tant j’en ai entendu.
Sans magnifier ses anti-héros, sans esthétiser la violence, Breathless m’a marqué.
*Les noms ont été modifiés par soucis d’anonymat, mais toutes sont véridiques.