Dans un écrin sublime et porté par des interprétations remarquables, Jane Campion réalise une œuvre romantique au sens autant plein que littéraire du terme.
On y verra donc de jeunes adultes découvrir l'amour, ses tourments et ses passions, ses joies et ses douleurs (les premières, aussi tranchantes que des lames - scènes touchantes à la clef -). On lancera à tout va des certitudes éternelles balayées quelques temps plus tard, on y exprimera des sentiments extrêmes qu'on oubliera aussitôt, y ressentira des peines incommensurables mais furtives, on s'y fera des promesses et vivra dans un rêve, celui d'un printemps infini ("There's no autumn here, go away" dira-t-on à une feuille morte), d'un lit de fleurs dans lequel on s'étend pour réfléchir très puérilement à la vie que l'on n'a pas encore vécue mais qu'on croit connaître toute entière. A grands coups de phrases pompeuses, de discours ampoulés et de poèmes habités, on disséquera l'amour, en se la refusant toujours, en s'inventant des obstacles qui jamais n'existent.
Le récit prend donc la forme d'un interminable et souvent ennuyeux commencement impossible d'une histoire qui, à force de ne jamais se faire, semblerait presque n'être pas voulue. En s'inventant un amour impossible dans un cadre qui lui donne pourtant toutes ses chances (maison partagée, famille ouverte, ami insistant certes mais qui ne mériterait qu'à être engueulé un bon coup), le film s'enlise et applique une mécanique longue, lourde et redondante qui donne le sentiment cauchemardesque de courir sans pouvoir avancer. En sur-place permanent l'émotion ne pointe donc qu'à de trop rares instants.
Ces rares instants sont ceux qu'offre la mise en scène superbe de Jane Campion, sa gestion des couleurs et des lumières d'une beauté rare, ses gros plans impressionnants, sa caméra parfois portée et sa profondeur de champ réduite qui donne une véritable douceur à l'image, comme une caresse qui cajole et embrasse ses comédiens. Quelques scènes d'amour et de complicité, de jeux d'enfants dans une nature en pleine effervescence (bourgeons qui éclosent et gazouillis d'oiseaux) sont belles à pleurer, grâce notamment à la superbe (mais trop rare) bande originale de Mark Bradshaw.
Jane Campion livre donc des images mémorables, comme des portraits de grands peintres, notamment lorsqu'elle capte ses personnages de profil (jolie image du couple en ying-yang dans son lit, dans une vue en plongée).
C'est donc peut-être de profil et en allant moins frontalement dans la tragédie romantique et tous ses gimmicks, voire ses clichés, que Jane Campion aurait pu réussir ce film qui échoue malheureusement dans ce pour quoi il était pourtant fait : émouvoir.