Quand le chauve sourit, la mousse tache
Quand on a vu Drive et Only God Forgives, on commence à réaliser que la violence est un thème cher à Nicolas Winding Refn. Que ce soit dans ses thèmes, dans ses personnages, dans les univers qu'il met en scène, WInding Refn fait rarement dans la dentelle, ce qu'il prouve une fois de plus avec Bronson, à mi-chemin entre le biopic et le film carcéral. Il s'agit en effet de relater l'histoire du "prisonnier le plus dangereux de l'Angleterre": une manoeuvre que Winding Refn ne va bien sûr pas réaliser sans prendre un parti de mise en scène.
Il aménage donc son film comme un récit, que Tom Hardy, transfiguré pour ressembler au célèbre prisonnier chauve à moustache, déballe pendant une heure trente, le tout agrémenté de flashbacks et de scènes de one-man-show. Ces dernières prêtent une première dimension au personnage. "J'ai toujours voulu être célèbre", confie Bronson dès les premières minutes, avant d'ajouter "Je ferais un mauvais chanteur. Je ferais un acteur encore pire", déroulant ainsi par un raisonnement assez douteux et fantasque son état d'esprit, sa manière de penser. Il décide alors de devenir prisonnier, mais pas n'importe lequel: une sorte de personnage à moitié fou, à moitié masochiste qui aime littéralement les coups de ses geôliers (je ne suis pas certain qu'il gagne une seule de ces rixes au cours du film). Accompagnées des scènes de one-man-show, dans lesquelles il explique à un public fictif dans une mise en scène plutôt théâtralisée, Bronson devient acteur "contre son gré", prêtant sa personnalité au public pour se mettre en valeur.
Car pour le prisonnier, tout est normal. Tel qu'il le raconte dans son "spectacle", le raisonnement "Je veux devenir célèbre, donc je me fabrique un fusil à canon scié et j'attaque un bureau de poste" est normal, et cela ouvre une seconde dimension au film: une dimension comique, penchant largement du côté de l'humour noir. On rangera dans cette catégorie toutes les mimiques de Tom Hardy (sourire en racontant une scène de mise à tabac), le montage (certaines scènes sont racontées rien qu'avec des images successives), la musique (classique sur les scènes de baston) et les "dialogues", d'une certaine manière (je préfère le mettre entre guillemets, tant c'est surtout Tom Hardy qui prend la parole).
J'ai du mal à vraiment décanter ce film, tant le personnage principal, sur qui finalement tout repose, est complexe et intéressant. Juste un psychopathe ? Un refoulé de la société ? Un alias de Nicolas WInding Refn, qui lui aussi se réfugie d'une certaine façon dans la violence (au cinéma, heureusement) ? Je pense que finalement, il y a de ces trois propositions. Et l'alchimie est plutôt bien réussie, en fin de compte. La réalisation de WInding Refn n'est pas aussi appliquée que dans Drive et Only God Forgives, même si on trouve des signes avant-coureurs de ce dernier: je pense au filtre rouge qui est utilisé notamment pour la scène d'introduction (une scène formidable d'ailleurs, à la hauteur du film entier). On lui reprochera peut-être, au final, d'être un petit peu trop long sur certaines scènes, provoquant des instants de mou alors que le film ne dure qu'une heure trente. On lui reprochera aussi le fait qu'il ne repose que sur son anti-héros de personnage, et sur la performance géniale de Tom Hardy, ainsi que sur la mise en scène et la réalisation, sans vraiment explorer d'adaptation scénaristique de l'histoire du prisonnier.
Bronson, au final, est un bon film plutôt jouissif, agréable à regarder, entre Only God Forgives et Drive, empruntant à ces deux films (c'est plutôt l'inverse, m'enfin) tout en gardant son identité propre. Une identité garantie par un humour très grinçant mais qui correspond très bien au personnage incompris et violent devant lequel Winding Refn semble être admiratif et se reconnaître.