Buena Vista Social Club est une œuvre qui cherche à capturer et à représenter la musique. Le film alterne entre les concerts du groupe, l’enregistrement du nouvel album de Ferrer et des interviews de chaque membre. Cette structure classique, qui nous présente chaque musicien un par un, a le mérite d’isoler l’instrument de l’orchestre, l’individu du groupe. Nous entendons l’ensemble divisé en pistes audio d’abord séparées, puis rassemblées dans le tout harmonieux.
Si le film est divisé en séquences, la musique, elle, ne s’arrête jamais et lie les scènes. Nous passons du studio à la rue, et vice-versa, par la musique qui traverse ces différents espaces-temps et résonne à l’infini. Au-delà de la transition de séquence en séquence par le son, Wenders, comme pour suivre le mot d’ordre imposé par la mélodie du groupe, fluidifie et harmonise sa mise en scène. Notamment par des raccords progressifs en fondu et une caméra en mouvement dansant continuellement autour de ces musiciens, comme si, tout comme nous, elle ne pouvait s’empêcher de se balancer au rythme de ces mélodies enivrantes. Comme le montre la reprise du nom “Buena Vista Social Club”, le film se veut être la représentation visuelle parfaite de la musicalité cubaine, devenant ainsi une éternelle salsa accompagnant ces vieux virtuoses.
Buena Vista Social Club dresse le portrait d’une success story tardive en nous présentant des vestiges d’une époque révolue, qui rencontrent enfin le succès. Celles-ci se fondent parfaitement dans l’environnement cubain vieillissant. Quelle différence y a-t-il entre eux et les vieilles Pontiacs et autres Chevrolet qui parcourent les rues décrépites de La Havane, et qui font l’attrait tant prisé de l’île ? Mais le charme particulier de Cuba est le résultat d’une histoire bien précise. Leurs succès tardifs, et leurs vieilles voitures, sont en grande partie attribuables à une politique américaine qui a conduit à l’isolement de l’île, rendant difficile la diffusion de leur musique au-delà des frontières cubaines. Wenders, en cherchant à capter uniquement la musicalité de l’île, s’arrête à la fable. Pourtant, le film commence par une séquence avec le photographe Alberto Korda nous montrant des photos qu’il a réalisées de Che Guevara et de Fidel Castro. Par touches, nous verrons ensuite des tee-shirts du Che, un bâtiment dénommé Karl Marx, et l’ombre planante de la politique castriste, prouvant que le film baigne dans un contexte particulier, mais n’effleure qu’en partie la complexité de l’histoire de l’île.
En plus d’être le nom d’un groupe, d’un album et d’un film, Buena Vista Social Club est à l’origine le nom d’un music-hall situé à Buenavista, à La Havane, et fondé en 1932, à une époque où ces clubs de musique étaient ségrégués entre musiciens noirs et musiciens blancs. Le Buena Vista Social Club était un club noir. Les relations de Cuba avec l’Afrique, aussi bien historiquement que culturellement, sont capitales. Tout au long du film, nous entendons de la musique afro-cubaine, pourtant cette afro-cubanité est laissée à la marge alors même que la question raciale a traversé l’histoire de l’île.
Avec ce film, Wenders parvient à capturer la musicalité du groupe, mais une musicalité en partie dévitalisée. Buena Vista se traduit par “bonne vue”. C’est ce qu’est Buena Vista Social Club : une bonne vue de Cuba, certes séduisante, mais que l’on pourrait tout aussi bien imaginer imprimée sur une carte postale achetée par le premier touriste occidental passant par là.
Auteur : Léo Delourme
Site d'origine : Contrastes