Bug ou l'un des films les plus radicaux de William Friedkin.... Imaginez un motel ultra miteux au milieu de nulle part. Une jeune femme seule et triste, vivant dans une minuscule chambre décrépite et crasseuse après avoir perdu son enfant de 10 ans dans des circonstances mystérieuses. Une amie fidèle qui trimballe son corps de déesse dans ce décor glauque. Un ex-boyfriend qui vient de sortir de prison, harceleur et adepte de la correction musclée. Un énigmatique vétéran de la guerre en Syrie, contaminé par un mal inconnu. Le cadre et les personnages sont plantés, il ne reste plus qu'à dynamiter le tout en y injectant une bonne dose de dépressions, d'obsessions morbides, de pulsions destructrices et de chaos primitifs. Et à ce petit jeu, William Friedkin reste le Maître incontesté.
Adapté d'une pièce de théâtre à succès et tourné en une vingtaine de jours avec une petite équipe et des acteurs ultra impliqués, Bug tranche radicalement avec les grosses machines hollywoodiennes précédemment confiées au réalisateur oscarisé. Ici, pas de stars capricieuses, d'exécutifs manipulateurs ou de planning oppressant. Friedkin est totalement libre, focalisant ainsi son énergie sur la conception de l’œuvre. Et quelle énergie !
Autant l'annoncer d'emblée, Bug est un film traumatisant. Et pour apprécier le métrage ultra paranoïaque et vivre l'impact de sa découverte avec intensité, il est fortement conseillé d'en savoir le moins possible à son sujet et de recevoir le film en pleine tête, sans sommation aucune. Dès le premier plan, une sublime vue aérienne plongeant lentement vers le motel (lieu principal de l'action), Friedkin prouve une nouvelle fois sa maestria visuelle. Rappelant à la fois l'ouverture du Sang Du Châtiment et celle de Traqué, cette scène, parasitée par une sonnerie de téléphone inquiétante, donne immédiatement le la en matière de paranoïa larvée. Qui se cache derrière ces mystérieux appels ? Pourquoi cette insistance ?... Les questions assaillant le personnage campé par Ashley Judd (qui démontre ici combien elle est une actrice géniale) sont les mêmes que les nôtres et Friedkin, en à peine quelques secondes, enclenche avec brio le sacrosaint processus d'identification, si laborieux à mettre en place chez les réalisateurs les moins talentueux.
En une poignée de plans, nous devinons tout, ou presque, du personnage incarné par Ashley Judd, ici parfaitement naturelle, sans une once de maquillage, les traits tirés, les cheveux sales et qui n'a pourtant jamais été aussi belle à l'écran, magnifiée à chaque instant par le regard passionné de Friedkin. Le calme avant la tempête suite à l'irruption de Michael Shannon, lui aussi baigné par la grâce, campant un personnage inquiétant et bienveillant à la fois. Entre Agnes et Peter, leurs personnages, chaque dialogue, chaque regard, chaque face-à-face est filmé comme une véritable séquence d'action, servie par une mise en scène constamment inventive et éclectique. Friedkin s'éclate à filmer ce duo d'acteurs formidables, ça se voit, et ces procédés habituels (zooms brutaux et autres cadrages bruts) sont mis ici au service d'une histoire sordide de folie contagieuse. L'hystérie des situations atteint ainsi la même puissance et la même explosivité que les célèbres et inoubliables poursuites automobiles de French Connection et de Police Fédérale Los Angeles. En un simple mouvement de caméra ou inclinaison de cadre, Friedkin parvient à rendre spectaculaires des échanges verbaux qui, chez un autre metteur en scène, auraient pu être d'une platitude lénifiante.
Bug regorge ainsi de scènes cultes mixées à une forme d'absurdité kafkaïenne omniprésente. Une expérience sensorielle qui se doit d'être vécue jusqu'à l'ultime seconde de son générique et qui offre au métrage une inventivité et une radicalité jusqu'au-boutistes extrêmement rares. Un bijou de film.