Réalisé par Salvador Simó en 2019, Buñuel après l’âge d’or nous plonge dans l'univers singulier du célèbre cinéaste surréaliste Luis Buñuel. Ce film, entre biographie et chronique historique, explore les années qui suivent la projection de son œuvre controversée L’Âge d’or. En quête d’inspiration et de financements, Buñuel se lance dans la réalisation d’un documentaire sur la région des Hurdes, un projet qui va profondément marquer sa carrière et lui faire explorer les limites de son engagement artistique et moral.
Le personnage de Buñuel est incarné avec profondeur et finesse. L’histoire se déploie avec une authenticité troublante, permettant de comprendre les défis créatifs et moraux rencontrés par Buñuel dans son processus artistique.
L’animation, qui pourrait paraître déconcertante au premier abord, se révèle d’une maîtrise et d’une esthétique captivantes, subtilement évocatrice de l’univers onirique et provocateur du réalisateur. Les scènes sont soigneusement dessinées, et chaque plan est habité par une intention visuelle distincte qui rend hommage aux contrastes frappants du surréalisme.
La musique, sans doute l’élément le plus abouti de la production, enveloppe l’audience dans une atmosphère immersive qui renforce les tensions et les moments de grâce du récit. Ce choix de compositions raffinées confère à la bande sonore une dimension émotionnelle supplémentaire, alliant mélancolie et intensité dramatique.
Certaines séquences tirées du documentaire Terre sans pain posent problème en suscitant un profond malaise, notamment par leur cruauté. Ces images ne ménagent en rien le spectateur, avec des scènes de violence envers les animaux particulièrement dures : des têtes de poules arrachées et même la prétendue mort d’un nourrisson.
Buñuel, dans son documentaire sur les Hurdes, se permet des pratiques aujourd'hui perçues comme éthiquement inacceptables, illustrant une volonté de provoquer le spectateur par des scènes dramatiques et choquantes. Dans le film de Salvador Simó, ces moments sont exposés avec une franchise déstabilisante, comme celui où Buñuel tire sur une chèvre pour que son corps dévale la montagne, ou encore lorsqu’il condamne un âne à une mort certaine afin d’obtenir des images percutantes – le tout soutenu par les images du véritable documentaire. Ces actions témoignent d'une absence d'humilité et d'un mépris des conséquences, ce qui compromet la recherche d'authenticité de manière trompeuse. Bien que représentatif de l'engagement sans compromis du cinéaste, ce comportement résonne aujourd'hui comme l'une des pratiques les plus scandaleuse de l'histoire du cinéma, difficile à concevoir même en tenant compte des normes de l'époque.
Ces choix artistiques, éloignés de toute éthique, soulignent à quel point Buñuel a osé se détacher des limites morales pour secouer et interpeller – un pari qui, bien que marquant, laisse aujourd’hui un goût amer. Ainsi, le personnage deviendra rapidement très antipathique pour une grande partie du public. L’intégration de ces séquences d’archives manque de nuance et aurait gagné à être suggérée plutôt qu’exposée de façon si frontale. Cette approche sans filtre, bien que fidèle au sujet, peut en effet heurter, au risque même de dissuader le spectateur. L’impact de ces images aurait pu être adouci par un regard plus subtil, rendant l’expérience plus accessible sans en altérer le réalisme.
Buñuel après l’âge d’or est une œuvre riche et captivante qui réussit à retranscrire l’essence d’un artiste complexe, tout en abordant des thèmes extrêmement difficiles à traiter. Plébiscité par une critique favorable, le film fait résonner le parcours de Buñuel avec des enjeux artistiques et moraux universels, offrant une réflexion sur les choix et sacrifices infâmes de la création. Malgré certaines scènes éprouvantes, cette production s’impose comme une plongée fascinante dans l’esprit d’un génie du cinéma, et mérite amplement d’être découverte pour la profondeur de son propos et la singularité de son esthétique.
Il va sans dire qu’un film contemporain soupçonné de violences animales n’aurait jamais reçu une telle appréciation de ma part. Cependant, Terre sans pain, étant une œuvre espagnole de 1933, j'ai choisi de visionner ses images avec le recul historique nécessaire. Bien que ces pratiques soient aujourd’hui inacceptables, il me semble plus juste de les aborder sans jugement anachronique. Pour autant, si j'avais visionner et critiquer le documentaire en lui-même, j'aurais condamné ces pratiques, qu'elles soient révolues ou non, et lui aurais attribué la note minimale, monument de 7eme art ou non.