Objet Filmique Non Identifié, "C'est arrivé près de chez vous" (titre de la rubrique des faits divers du journal "Le Soir") fut le pionnier d'un nouveau souffle du cinéma belge, avec des films inventifs n'ayant pas peur des odeurs de dessous de bras. Filmer un tueur qui fait ça comme un boulot ordinaire, cela permet un savoureux "mockumentaire", même si le spectacle nécessite parfois d'avoir l'estomac bien accroché !
Une équipe de cinéma suit donc Ben gagnant son pain quotidien en dégommant à tout va ! Avec ce film, Poelvoorde inventait un personnage qui allait devenir sa marque de fabrique pour longtemps: l'échalas dont tout le corps joue, hâbleur et souvent insupportable, cousin trash de Séraphin Lampion. Le côté décalé du film est présent jusque dans l'opposition entre Ben, bien coiffé et sapé (quoique...), et l'équipe de tournage, constituée de chevelus mal rasés en anoraks, où les preneurs de son ont une durée de vie limitée. Soigné dans son aspect visuel sans en avoir l'air, le film expose, en noir et blanc, un univers qu'on ne voit pas dans les grandes productions: cités sans âme, friches industrielles, bistrots populos, arrière-salles mal aérées,... La mort frappe alors, sans aucun romantisme. Comme Rémy, la mort a mauvaise haleine.
Belvaux, Bonzel et Poelvoorde, à la fois réalisateurs, scénaristes et acteurs principaux (même si André, derrière sa caméra, demeure obstinément invisible), se permettent, malgré leurs moyens limités, toutes les outrances dans ce film qui, en se dispensant de tout jugement moral, nous montre bien l'ignominie de ces personnages à d'autres moments attachants. Charismatique, grand gueule, généreux, Ben vampirise rapidement l'équipe du film, devenant implicitement leur producteur. Et les voilà, mine de rien, sans être plus gênés que Ben, complices de ce tueur de sang-froid. On se bourre la gueule ensemble, on viole ensemble, on dégage les corps ensemble. Le film va très loin et crée un malaise certain tout en faisant preuve d'un humour noir dévastateur qui ne respecte absolument rien ! Complètement bourré, beuglant des chansons, se vautrant dans les poubelles, Ben se déguise en prêtre puis en père Noël, avant d'aller joyeusement torturer et massacrer le couple qui s'envoyait gentiment en l'air ! Poelvoorde livre ici un festival, qu'il court sur une plage puis se roule dans le sable, nu comme un ver, ou qu'il gise inconscient à la fenêtre de la voiture, avec du vomi jusque sur sa chemise ! Sa relation avec Valérie n'est pas claire non plus, et on frémit quand on voit le sort qu'il impose à Khalifa, la malheureuse balayeuse...
C'est arrivé près de chez vous est donc un défilé de personnages hauts en couleur, jusqu'à la mère et aux grands-parents de Poelvoorde dans leurs propres (?) rôles, qui donnent cohérence et ambiguïté à de multiples scènes. Il y a aussi cette fin abrupte, où cette fois-ci, ce sont les protagonistes qui trouvent à leur tour la mort à coups de flingue, où ils s'écroulent devant la caméra, laquelle "meurt" aussi, avec cette chute au sol puis ce long plan final sur le cadavre de Vincent, le 3ème et dernier preneur de son. Tous se prennent un fatal retour de manivelle (de caméra). Puis vient le générique, silencieux. Percutant, jusqu'au bout.