Claire Burger a frappé fort avec Party Girl, un premier long métrage auréolé à Cannes en 2014 de la prestigieuse Caméra d’Or, le prix des premiers films, qu’elle a coréalisé avec deux autres cinéastes, Marie Amachoukeli et Samuel Theis. Elle nous revient cette semaine en solo avec C’est ça l’Amour, un non moins excellent deuxième opus.
Inspiré par sa propre histoire, au moment exact où sa mère quitte son père, le récit est porté par le Belge Bouli Lanners, à qui les rôles de papa ours bourru et tendre siéent décidément à merveille (cf. le récent Tous les chats sont gris de sa compatriote Savina Dellicour). Mais le regard, -brûlant, fiévreux- est celui de Frida (Justine Lacroix), la plus jeune des deux filles de Mario (Bouli Lanners), une version adolescente et fictionnalisée de la cinéaste elle-même. Tourné dans la maison d’enfance de Burger, la propre maison de son père, C’est ça l’Amour raconte la déflagration de cette séparation sur les membres de cette famille : le père désemparé, écrasé à la fois de douleur sentimentale et de responsabilité paternelle puisque la mère est partie seule ; mais aussi les filles, toutes deux à l’orée d’une étape décisive dans leur vie , la majorité et la liberté pour Niki (Sarah Henochsberg), l’entrée dans l’adolescence pour Frida, et toutes deux perturbées , chacune à sa manière, par cette séparation que personne n’a vu venir.
A l’instar de Party Girl, la force de ce deuxième film est le bouillonnement intense de la vie dans les personnages. Même chez Mario, un homme mûr déjà, au physique ronronnant déjà, la curiosité ne s’éteint jamais. Il est avide de tout, de spectacles, d’expositions, mais également de justice sociale, lorsqu’il s’énerve contre des collègues bureaucrates pour prendre la défense d’un de ces vieux immigrés italiens attirés jadis par les fourneaux de Forbach, éteints depuis. Les filles ne sont pas en reste, dévorant la vie par tous les bouts, au risque de se casser quelquefois les dents, comme lorsque la jeune Frida explore son homosexualité pour voir aussitôt son premier chagrin d’amour s’abattre sur elle.
La proximité émotionnelle et géographique (Forbach, sa terre natale, et la propre maison de son père ) de la réalisatrice avec l’histoire n’est sans doute pas étrangère à l’intensité du film. La tendresse de la cinéaste envers les personnages rejaillit sur ces derniers qui sont tous d’une justesse de ton absolue. Une mention spéciale doit être donnée à Justine Lacroix, pour son jeu entier et énergique, oscillant joliment entre l’enfant qu’elle est encore et la jeune femme qu’elle est en train de devenir. Burger ne juge jamais, et parvient paradoxalement à garder la distance nécessaire pour permettre au spectateur de s’approprier une histoire si intime et sans doute douloureuse.
S’appuyant sur un dispositif de mise en abyme, au travers d’un groupe de théâtre auquel Mario appartient (la pièce Atlas, un théâtre différent qui donne un espace de parole à des comédiens spéciaux qui sont des habitants de l’endroit où elle se joue, existe vraiment), Claire Burger permet par ailleurs de mettre en images la renaissance de cet homme empêtré qui prend de plus en plus sa place pour finir dans une magnifique envolée à la fin du film où il se révèle à lui-même et à son entourage.
C’est ça l’Amour est histoire racontée tambour battant, sans temps mort, avec beaucoup d’émotion et de sensibilité. On aurait tendance à dire que l’amour, c’est en effet ça, ce film qu’une femme réalise pour rendre hommage à son père, et pourquoi pas à une mère qui, par son geste, débloque aussi des possibles pour ses filles.
Retrouvez aussi cette critique sur notre site Lemagducine.fr