Cette critique spoile le film Ça.


Lorsqu'on adapte de nos jours une œuvre qui a eu un impact important sur la pop-culture, en tentant de lui rester fidèle, l'adaptation paraîtra nécessairement dépassée, clichée, car d'autres œuvres ayant repris les mêmes codes que l’œuvre originale a construite – voir les dépassant au fur et à mesure qu'ils eussent été intégrés par la culture de masse – seront passées par là entre temps. S'offre alors un paradoxe : si cette adaptation n'offre rien de nouveau à ses spectateurs, elle en décevra néanmoins un bon nombre presque d'office, les fans de l’œuvre originale, car la forme d'un film comparée à celle d'un livre réduira forcément la profondeur de l'univers – et même l'impact puisque la saveur de la première fois ne sera plus au rendez-vous. Dans le domaine de l'adaptation, le spectateur le plus difficile à contenter est donc le fan de la première heure : soit l'on adapte l’œuvre originale fidèlement, avec les problèmes susmentionnés que cela pose, soit l'on tente quelque chose de neuf, ce à quoi le fan a de grandes chances de répondre négativement, voyant son œuvre aimée dénaturée. En somme, il est difficile de réaliser une adaptation. Or, il l'est moins de la juger. Mais plutôt que de juger un degré de fidélité, il est, à mes yeux, plus judicieux de juger l'adaptation comme une œuvre à part entière, et de la juger uniquement comme telle ; ne pas juger son arbre généalogique mais la manière qu'a l'adaptation de retranscrire l’œuvre originale avec ses propres moyens – et donc ses propres faiblesses. Dans le cas de Ça, le bilan s'avère donc plutôt positif.


Bien entendu, Ça reste un film de studio, donc une œuvre calibrée. Cependant, au vu du niveau pitoyable des grosses productions horrifiques de ces dernières années, cela rend le résultat presque plus admirable encore. Le film tente des choses, n'hésite pas user de la violence graphique à une époque où celle-ci est de plus en plus absente des productions grand-public – la scène d'introduction, par ailleurs magistrale en presque tous points, est à ce titre une fabuleuse synthèse des plus de deux heures à venir – et en sachant par ailleurs garder une identité propre et nettement reconnaissable. Ça est un film d'horreur, commençons donc par étudier cela. Or, qu'est-ce qui fait que l'horreur, dans un film, peut être jugée comme bonne ? À un niveau subjectif, cela a très souvent à voir avec la résonance qu'elle a sur nous ; mais à un niveau plus « objectif » ? À mes yeux, c'est la somme des éléments qui constituent un film qui permettent de créer l'horreur, ainsi que leur cohésion une fois ces éléments portés à l'écran. Au sens large, il s'agit donc de la mise en scène ; dans le détail, c'est plus complexe.


Si on peut regretter de Ça quelques travers de l'horreur moderne – dont la prépondérance d'effets sonores extra-diégétiques cherchant à faire sursauter le spectateur, des jump-scares pour les intimes –, reste que le film s'avère plutôt compétent lorsqu'il s'agit de bâtir son horreur. À commencer par le son, Ça possède un excellent design sonore qui ajoute une plus-value certaine au film grâce à une ambiance sonore parfois aussi troublante que lancinante. Puis, le production design, c'est-à-dire les décors et les costumes, à commencer par l'intérieur de la maison de Pennywise et son design. Pour complimenter cela, dans ces deux exemples, s'ajoute le travail de la lumière et la performance de Bill Skarsgård, ce qui permet de donner vie à l'horreur. Puis, enfin, la manière de monter, de filmer, cette horreur. Si par moments cela ne prend pas, Ça arrive tout de même à construire plusieurs séquences terrifiantes. La sortie de Pennywise du réfrigérateur qui, en plus de posséder des effets-spéciaux des plus convaincants, est accompagnée d'un travelling arrière et d'un panoramique horizontal pour rendre le monstre encore plus menaçant qu'il ne l'est déjà est un bon exemple de la possible efficacité de la mise en scène. Ou encore la séquence du projecteur, la meilleure à mes yeux, où c'est cette fois-ci la perte de toute logique, donc de repères, donc d'anticipation du danger, qui créer l'horreur. Et cette perte de logique n'est pas une facilité ou encore moins illogique étant donné que Ça opère dans une horreur-fantastique qui lui permet de briser les règles s'il le souhaite – ce dont il ne faut cependant pas abuser, au risque de créer une insensibilité au procédé.


À cette compétence certaine – mais pas toujours présente malheureusement – dans la mise en scène de l'horreur, s'ajoute à cela la créativité de celle-ci. À ce titre, il faut accorder du crédit au roman d'origine qui, parce qu'il basait chacune de ses séquences horrifiques sur la peur d'un personnage en particulier, permet à son adaptation cinématographique de déployer une horreur aux multiples facettes. Toutefois, la multiplicité de l'horreur ne serait rien sans une manière diversifiée et parcimonieuse de la mettre en scène, ce que Ça a bien compris. S'il on prend, par exemple, la première apparition de Pennywise à chacun des personnages, le film arrive à les traiter judicieusement, ne cherchant pas à en faire toujours plus à chacune des nouvelles apparitions, ce qui, au contraire de les désamorcer, d’ennuyer, permet de les complimenter les unes et les autres. Pas besoin de toujours monter le monstre et pas besoin qu'il opère nécessairement dans une attaque frontale à chaque fois. La première apparition de Pennywise à Beverly par exemple, en plus de rappeler avec élégance Les Griffes de la Nuit de Wes Craven sans jamais tomber dans le recyclage ou la simple citation, fonctionne avec une sobriété qui lui est sans égale au sein de l’œuvre et le travail de la tension dans cette séquence est d'autant plus réussi que, dans ce cas-ci, c'est la proie qui avance vers le prédateur.


Cependant, les séquences horrifiques, quand bien même elles en soient le cœur, ne font pas tout dans un film d'horreur ; là encore, les forces de Ça n'ont d'égales ses faiblesses, ou presque. En matière de personnages, par exemple, s'ils sont des archétypes du genre, ils n'en restent pas moins attachants et le portrait qui est livré de ce groupe d'amis est, sans aucun doute, tout à fait sincère. Concernant les méchants, eux sont bien plus décevants car ne connaissant aucun développement, restant donc de simples archétypes. L'alchimie entre les personnages est grandement aidée par les performances des acteurs qui, même s'il y a de toute évidence des faiblesses – qui sont toutefois plus la faute de certains dialogues que de celle des membres de la distribution le plus souvent –, restent admirables pour leur âge. On peut néanmoins regretter le nombre trop important de personnages dans le groupe, ce qui n'est pas dérangeant dans un livre qui s'étend sur plus d'un millier de pages, mais qui, dans un film de deux heures quinze, empêche de développer convenablement chacun d'entre eux. Néanmoins, en tant que groupe, les personnages sont tout à fait crédibles, et l'humour du film – décrié, je trouve, à tort par certains – aide grandement à solidifier cette dynamique.


Enfin, on peut saluer l'imagerie que développe le film – ainsi que la bande originale, soit dit en passant. Si la mise en scène fait parfois un peu trop mécanique, purement technique, trop propre, faisant perdre en authenticité à certaines scènes, elle sait par moments faire preuve d'une audace qui se doit d'être remarquée. La photographie est, dans l'ensemble, une grande réussite, d'autant plus qu'elle sait servir le film lorsqu'il s'agit de montrer les éléments dérangeants – les entrées de Pennywise, ses désarticulations, etc. – ajoutant à leur impact et complimentant tout le travail de production design à ce niveau. En résumé, même si Ça reste bien trop souvent dans les carcans du cinéma d'horreur – car cherchant à travailler dans le sens de l’œuvre originale, sans nécessairement tenter de l'imiter ou lui rester totalement fidèle –, le film arrive tout de même à élaborer ses idées en matière d'horreur en développant un mélange de références et d'idées neuves qui, sans être novatrices, ne semblent au moins pas être du simple recyclage comme c'est trop souvent le cas pour les longs-métrages provenant de grands studios. En somme, Ça est une petite prouesse dans le cinéma grand public et une tentative honorable dans le domaine du cinéma d'horreur ; pas une révolution mais un film qui devrait au moins servir de norme, d'exemple, pour les cinéastes contemporains.

Venceslas_F
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le 24 mai 2019

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Venceslas F.

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