[SPOILERS]


Quelle rage, sérieusement.


Aucun regret de m'être levé hier car les films d'horreur au ciné, c'est premier jour au matin ou rien. Dès l'aprem, tu risque de croiser Jean-Michel Lamèche, Samir Snapchat, Kévin Gogol et Jennifer Messenger, sûr que tout ce beau monde t'offrira gratuitement un concerto de blagues nazes gueulées bien fort avec, en sus, un show sponsorisé par la galaxie smartphone. Un authentique spectacle son et lumière. Cette fois, je n'ai eu qu'un teubé deux rangs devant qui a cru bon d'envoyer des textos. J'ai bien pris ma respiration (la salle est très grande) avant de lancer un "Tu vas l'éteindre ton putain de téléphone ?!" qui a fait son office - si tu passes par là, c'était moi le mec pas content de derrière. Bien entendu, je la ramène moins face à un groupe de cinq ou dix jeunots que devant un quadra qui se croit chez mémé : non seulement des gens se sont déjà fait casser la gueule ou insulter pour avoir osé se faire respecter, mais surtout, ça ne sert à rien, c'est comme nourrir un troll. Dans ces cas là je me barre, j'aurai perdu du fric mais pas mon temps car ces aspirants beaufs, je les fuyais déjà quand j'étais moi-même boutonneux.


Bref, tout ça pour dire que hier matin, c'était la paix absolue, la joie du silence et de l'obscurité, donc aucune excuse pour le film, rien pour me déconcentrer de ces deux heures et quart. Double rage, du coup. Comment vous avez pu vous foutre à ce point de ma gueule avec un tel matériau ? Manque de budget ? Loupé, vos décors sont très réussis, des intérieurs aux extérieurs, des égouts aux domiciles des mômes. Une classification timide ? Faux, vous êtes classés R et de la violence, y en a. Non, le souci c'est que votre Ça, c'est un bon gros film de trouillard vendu comme un film d'horreur, mais fabriqué comme un cop show lambda, tout peureux qu'on comprenne pas ce que le roman exprimait intelligemment. Pourtant, quelques vraies bonnes idées subsistent.


Le film fait illusion pendant trente minutes. L'introduction capte à merveille l'ambiance de fin du monde qui accompagne les rues inondées de Derry, la mise en scène étant fonctionnelle quand Bill et Georgie discutent, puis carrément inspirée lorsque le petit frère part à l'extérieur faire flotter sa frégate. La première rencontre avec Grippe-Sou est également très bien gérée, le réalisateur de Mama ajoutant un regard extérieur en la personne d'une voisine qui observe le garçonnet en ciré jaune penché sur le caniveau. Enfin, énorme changement, Georgie n'est plus aidé par Dave Gardener, ce voisin qui aperçoit la scène et court pour extraire Georgie de sous le trottoir, avant de ramener son cadavre mutilé à ses parents après que "les yeux de l'enfant, grands ouverts sur le ciel blanc (...) commencèrent à se remplir de pluie".


Voilà une trahison intelligente qui augure du meilleur : non seulement on évacue ce personnage secondaire sans nuire à la puissance du drame, mais en plus, en l'absence de corps à enterrer, la famille de Georgie ne fait pas directement face au deuil mais à l'incertitude. Personne pour venir en aide à Georgie, ce qui rend son sort plus poignant encore, la caméra filmant au ras du sol ce pauvre gamin qui, le bras droit arraché, tente d'échapper à celui du clown. Parce que, contrairement au bouquin, Georgie n'est plus officiellement décédé mais disparu, les scénaristes jouent de ce détail pour caractériser Bill, le grand frère, lorsque son père le surprend en train de fabriquer dans son son garage un dispositif reconstituant les égouts de Derry, dans l'espoir de retrouver son petit frère. Sèchement, au bord des larmes, le paternel lui répond que cela fait un an, que Georgie est mort et qu'il faut l'accepter. Et Bill de démonter les tuyaux qu'il a assemblés - en fait un parcours de jeu pour hamster, sous le regard crédule de l'animal.


Là, je me suis dit que les responsables avaient tout compris au roman qu'ils adaptaient, et que j'allais prendre mon pied. La chose s'est confirmée lorsque Beverly, seule fille du futur groupe, est entrée en scène. En train de fumer aux toilettes, elle subit les insultes d'une camarade de classe tyrannique dont les deux sbires lui versent un sac poubelle sur la tête. Quelques secondes plus tard, elle croise Ben à l'entrée du collège, gamin obèse qui tombe immédiatement amoureux de la jeune fille, et avec qui il sympathise. A l'écran, il renverse ce qu'il portait dans les bras, ainsi que son vélo, et s'en va en traînant son casque audio sur le sol, qu'il a oublié de remettre après que Beverly ait écouté quelle musique le branchait. Un bête détail mais qui fonctionne à merveille, comme l'interprétation des comédiens, de loin les meilleurs du lot. Le passage est d'autant plus réjouissant qu'il zappe deux éléments essentiel du roman sans que, là encore, l'adaptation n'en souffre.


Durant ces quelques pages, Ben était, comme tout un chacun, hanté par deux détails entre mille qui rendent unique l'élue de son coeur. Tout d'abord, un bracelet qu'elle porte à la cheville, objet "qui lui renvoya le soleil en petits éclats vifs". Plus important, une coupure en train de cicatriser sur le mollet de Bev' : "(...) pour une raison mystérieuse, ce dernier détail souleva en lui une vague d'émotion d'une telle puissance qu'il dut s'accrocher de nouveau à tâtons à la rampe ; une émotion gigantesque, indicible et miséricordieusement brève, signe avant-coureur, peut-être, de désir sexuel, sans signification pour son corps où les glandes endoctrines dormaient encore d'un sommeil sans rêve (...)". L'indicible. Voilà le plus gros défi que représentait Ça. Là-dessus, et parce que cet amour naissant est très bien rendu dans le long-métrage, j'ai cessé de penser au bouquin, soit la plus belle chose qui puisse vous arriver devant l'adaptation d'un roman que vous avez lu.


Le fameux Henry Bowers qui brutalise Ben, ce fut le début des ennuis. Des gros durs tyranniques, on en a croisé plein, et pas besoin de justifier par trois spin off comment ce sont devenus des enfoirés. On a tous vu ou vécu ça, donc on mord. Mais lui arrive vraiment comme un cheveu sur la soupe. Alors que, côté fille, la beauté de Beverly a effectivement de quoi rendre jalouses les petites garces qui lui font la vie dure, pas moyen de comprendre ce qui a pu pousser Bowers non plus à se moquer de Ben le petit gros, mais carrément à lui entailler le ventre avec un couteau pour y graver son nom. La réponse est à chercher dans le bouquin : courageux et craignant d'être puni au même titre que le voyou, Ben a refusé que Bowers copie sur lui pendant les examens de fin d'année, condamnant le jeune-homme a suivre des cours pendant l'été et donc à prendre une rouste par son père fermier, faute d'avoir assez de temps pour lui prêter main forte jusqu'à la rentrée.


Ce défaut mineur a des répercussions catastrophiques dans le dernier tiers du long-métrage. On découvre que le fameux daron n'est plus fermier, mais flic. Soit, pas de souci. Mais en plus de zapper consciencieusement les raisons de la survie du fils après son passage entre les griffes du clown, le montage embraye sur un parricide commis sous l'influence du monstre. La scène, pourtant brutale, sort à ce point de nulle part qu'on n'est pas trop surpris de voir le même Henry sacrifié comme une merde quelques minutes plus tard, alors qu'on devine entre les lignes l'évolution passionnante de ce personnage. Ça, le film, fait mine de le réinventer alors qu'il le passe sous le tapis. Une broutille, comparé aux autres problèmes qui bouffent de l'intérieur cette version 2017.


Qu'est-ce qui leur a pris, nom d'un chien, d'apposer un traitement sonore aussi abominable à une histoire portée sur l'indicible ? C'était pourtant évident, le vrai sujet de ce récit d'amitié : "Une ville entière peut-elle être hantée ?". Le clown de Ça, c'est la mauvaise conscience des hommes venue s'en prendre à leurs mômes. Et accessoirement, en psychanalyse, le ça représente la partie pulsionnelle de notre psyché. Par définition, le ça ignore toute forme de règles, ne se soucie pas de la réalité, et n'a en tête que son plaisir personnel. Dans le cas du clown, c'est se nourrir (symboliquement) de la peur des gosses et (littéralement) de leur chair.


C'était trop demander aux responsables de prendre ça en compte un minimum, alors que c'est précisément cet aspect insaisissable qui a foutu une trouille bleue aux gamins qui ont vu le téléfilm à l'époque, et à ceux qui découvrent le bouquin aujourd'hui. Le clown version Muschietti est juste un clown, un truc sommaire qui fera sans doute peur parce qu'il a déjà fait peur par le passé. Accessoirement, le personnage est un nid à jump scares moisis : il gigote comme un beau diable, surgit d'une boîte, fait des sauts de plusieurs mètres, gesticule lorsqu'il passe à l'attaque. Quand il est immobile, ça fonctionne. Dès qu'il bouge, c'est le drame, j'y croyais plus une seconde. A l'écran, Grippe-Sou est un simple guignol aux dents longues, malgré les superbes effets spéciaux qui lui donnent sa gueule démesurée. Dans ces conditions, pas moyen de me sentir impliqué par le laborieux climax, longue baston dont n'émane aucun suspense.


Grippe-Sou, dans le roman comme ici, est un épouvantard avant l'heure, une créature indéfinie qui, comme dans Harry Potter, prend la forme de ce qui nous terrifie le plus. Un concept génial, surtout dans une histoire de mômes qui ne se sentent pas à leur place dans leurs familles respectives - le père de Beverly aurait d'ailleurs mérité plus de présence ici, surtout vu l'intensité du comédien. Muschietti a zéro confiance en la peur que peut inspirer son clown, et encore moins en son public pour s'impliquer dans cet univers. Résultat, on a droit à une musique omniprésente, chiante et tapageuse au possible, qui assassine le silence nécessaire à l'immersion. Il doit y avoir des scènes sans musique bien sûr, mais je suis incapable de m'en souvenir, c'est dire... Et Ça de nous bourrer le crâne comme le ferait un épisode des Experts, à ce point bruyant qu'on s'attend à voir surgir une coupure pub jusqu'à laquelle il tient absolument à nous tenir éveillés avec son brouhaha. La méthode est si abêtissante qu'il m'a fallu une bonne heure et quart pour réaliser à quel point je me faisais réellement enfler. Plus c'est gros plus ça passe, et je n'y ai vu que du feu jusqu'à mi-métrage, alors que tout le projet - et donc tout le problème - tient à ceci : l'histoire ne se passe plus en 1958, mais en 1988.


Quelle bande d'enfoirés. Tout ça pour quoi ? Nous coller des vélos à la E.T., des affiches de Phantasm, un ciné qui diffuse Freddy 5 dans lequel les héros ne rentrent même pas (alors que dans le livre ils vont voir un film de loup-garou, forme que prend le clown lors d'un chapitre palpitant), une scène de diaporamas qui remplace le chapitre sur la photo mouvante et dont la mise en place émule celle des vidéos de l'armée dans Super 8 (un film-hommage aux 80's vendu comme tel), plus une petite borne d'arcade car sinon, la panoplie du wanna be Amblin ne serait pas complète. Il manquait plus que de coller Grippe-Sou au volant de la De Lorean. Sachant que la suite de l'aventure, avec les personnages adultes, traite justement de souvenirs d'enfance et de nostalgie, je vois venir d'ici l'orgie de clins d'oeil forcés à cette décennie. En plus, vu qu'ils nous ont collé cette période dès maintenant, une fois grands, les héros vivront au milieu des années 2010 au lieu d'être dans les 80's, histoire de faire un peu plus la cour aux trentenaires d'aujourd'hui - car tu comprends, les 50's, ça parle à personne. On va sûrement se taper des séquences smartphones ou GPS, si le repas de retrouvailles n'est pas carrément ponctué de selfies ou, encore mieux, de rétrogaming sur tablette.


Disparue, l'ambiance propre aux 50's et les détails autobiographiques qui vont avec. Au lieu de ça on vise les 80's, encore et toujours, ce fichu museum de la culture pop au-delà duquel Hollywood semble être devenue aveugle depuis bientôt dix ans. On m'a conseillé maintes et maintes fois de regarder la série Stranger Things, mais vu que ce nouveau Ça, au lieu de l'adaptation attendue, a réussi à me refourguer un remake des Goonies avec un peu de gore, y a moyen que je passe mon tour. La nostalgie des 80's tuera ce monde, et ça m'énerve d'autant plus que la production est partie chercher le génial chef opérateur coréen Chung Hoon-chung (1) pour éclairer tout ça. Les choix de mise en scène de Muschietti sont tellement balourds qu'ils brident même le talent du bonhomme - voir ce vilain ralenti en pleine bataille de cailloux, qui ruine l'intensité de la scène, ou ces innombrables visages difformes qui viennent gueuler en gros plan.


Lors de l'épilogue de Ça, un garçon et une fille échangent un premier baiser, loin de tout et de tout le monde, à l'écart du moindre bruit, alors que la main ensanglantée de l'adolescente laisse une marque rouge sur le visage de son amoureux. La scène aurait pu être bouleversante. Muschietti, totalement effrayé à l'idée de laisser respirer son film, envoie une ultime dose de musique sur-signifiante qui tue dans l'oeuf toute émotion. Un peu comme la fameuse séquence de la salle de bains de Beverly, techniquement renversante mais dont le nettoyage qui s'ensuit, long moment d'amitié partagée dans le roman, rempli de tendres dialogues, est ici expédiée (et en musique) avec l'insouciance d'une pub pour Ajax.


Non vraiment, quoi qu'en disent ses plus fervents défenseurs au sein de la profession (2), plus j'y pense, plus la première demi-heure du film reste son seul atout, et plus cette adaptation m'apparaît comme un triste échec...


(1) Pour vous faire une idée du travail du chef op', fidèle de Park Chan-wook, je vous renvoie vers ce superbe tribute : https://vimeo.com/72166028


(2) Voir, par exemple, l'avis dithyrambique de Xavier Dolan : https://lc.cx/G7wY

Fritz_the_Cat
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le 21 sept. 2017

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