En poursuivant mon exploration du cinéma italien social et engagé, j'avais envie de me rapprocher de de la filmographie de Francesco Rosi. Le Christ s'est arrêté à Eboli et Les Hommes contre... me paraissant un peu velus pour une entrée en matière, j'ai choisi Lino Ventura (sûrement mon acteur préféré), comme porte d'entrée à Rosi.
Cadavres exquis s'ouvre par une scène magistrale. Un Charles Vanel vieillissant déambulant entre les momies des Catacombes des Capucins, à Palerme. Incipit préfigurant l'intégralité du film. Juge plus ou moins correct, il est abattu à la sortie du cimetière. S'en suit plusieurs autres meurtres de magistrats et l'enquête de l'inspecteur Rogas, essayant de démêler le vrai du faux dans cette histoire politique et politisée. l'amenant au travers d'un pays désœuvré, en détresse.
Ici, ne cherchez pas une chasse à l'homme pour arrêter un coupable. Pas de course-poursuite, pas de happy end, pas de réponse concrète pour comprendre. Car, comme dans la vraie vie, la vérité est un concept flou, fuyant, manipulé et manipulant. Car Francesco Rosi s'efforce de montrer la crête abrupte sur laquelle se trouve la société italienne au milieu des années 70. Au cœur des années de plomb, le pays est divisé en deux, entre révolutionnaires plus ou moins violents, et gouvernement aux relents de plus en plus fascisants. Et c'est cette deuxième catégorie, qu'heureusement, Rosi pointe du doigt.
Il y dénonce l'instrumentalisation faite par le pouvoir d'un acte isolé et violent (semble-t-il sans aucune portée sociale), ces meurtres en série de magistrats (plus ou moins tous pourris), pour asseoir sa mainmise sur un pays aux abois, et justifier finalement les extrémités qu'il semble prendre à plaisir à mettre en place. L'Italie s'est débarrassée de Mussolini, mais le fascisme est rampant et est prêt à ressurgir à n'importe quel instant, sous n'importe quel prétexte. Et Cadavres Exquis démontre avec force que cela pourrait être plus qu'une fiction.
Le film est austère. Il est difficile de dire le contraire. Nous suivons un Lino Ventura solitaire, tantôt parlant à certains, tantôt en interrogeant d'autres. Beaucoup de décors vides, de personnages gris et ternes, en proie au désarroi et à la peur. La mise en scène et la photographie (certains plans sont pour le moins virtuoses, notamment ce chien, aboyant de nuit au milieu d'une autoroute), sans chichis, se met à l'échelle de son personnage principal, noyant le charisme magnétique de Ventura au milieu de l'immensité du décor, comme un pion au milieu d'un échéquier. Il croit être au centre de la partie, mais il n'est qu'un petit rouage dans une immense machine. Qu'arrivera-t-il quand il commencera à se gripper ?
Cadavres exquis n'est pas à la portée de tous les spectateurs, j'en ai peur. Son austérité froide et la distance qu'il installe avec ses personnages ne facilite pas l'entrée dans le film. Mais il participe au propos plus que pessimiste du film. Rien ne sert de s'attacher, tout est perdu d'avance, ou presque. Car les fascistes sont toujours quelque part, prêts à mordre. Et me vient le doute qu'ils finiront réellement seuls et vaincus...