Café Lumière est d'abord présenté par Hou Hsiao-Hsien comme un hommage au cinéma d'Ozu, il n'hésite pas d'ailleurs à préciser au début du film que l'année de la sortie du film, le réalisateur japonais fêterait son 100ème anniversaire. Pas étonnant donc de retrouver des plans typiques du cinéma d'Ozu où il aimait traiter les thèmes qui lui étaient chers : ces scènes de dialogue dans le salon japonais, une famille assise au bord du kotatsu à apprécier le diner servi, la retenue dans les dialogues qui traduisent les fractures familiales ...
Sauf qu'ici, Hou Hsiao-Hsien vient apporter ses propres références, des bribes de culture taiwanaise (Yoko, le personnage principal dans le film, est une journaliste sur les traces du compositeur classique contemporain Jiang Wen-Ye ayant vécu une grande partie de sa vie de musicien à Tōkyō), mais surtout une volonté de mettre en avant l'idée de mouvement pour faire contraste avec une communication fragile voire inexistante chez les personnages. Les plans qui traduisent ce bouillonnement intérieur sont nombreux : la foule hyperactive du quartier de Shinjuku qu'on observe à travers la lucarne d'un restaurant, un passant à vélo qui bouscule accidentellement un autre à la sortie du magasin de Hajime, la jungle urbaine des trains de banlieue japonais qui s'entremêlent, l'éblouissement provoqué par les rayons du soleil au fond d'une librairie tokyoïte : tant d'éléments qui viennent illustrer l'état psychologique tourmenté des personnages et qui décèlent une certaine incapacité de vie, une difficile intégration à la société nippone.
Malgré quelques lenteurs notables, on remarquera également l'ambiance sonore omniprésente, du grondement de l'orage aux passages de musique classiques, qui plonge les personnages dans des états parfois quasi-hypnotiques (superbe scène où Yoko raconte son rêve au téléphone un soir d'orage). Une impression mystérieuse vient alors se rajouter à la trame principale du film et lui donne un autre ton : les personnages se mettent alors à se questionner à propos de leurs rêves où plutôt de leurs cauchemars, de leurs peurs les plus profondes. Les rêves de Yoko traduisent son anxiété à l'idée que ses parents acceptent difficilement qu'elle soit enceinte d'un étranger (taïwanais).
Finalement, ce film rend certes un bel hommage mais séduit également par sa capacité à réinventer, à agrémenter en toute pudeur un style de cinéma rendu célèbre par le maître du cinéma japonais : Yasujirō Ozu.