Été 1983. Italie. À l’extérieur il fait jour, le soleil est chaud et enveloppant, il y a un air de dolce vita qui bruisse, une nonchalance distinguée qui vous prend, un temps qui s’est arrêté on dirait. On parle anglais ou allemand, on badine en français ou en italien. Tout se mélange. Les amis qui passent, les gens du village, le personnel attentionné, les jeunes, les adultes et les plus vieux, et les amours aussi. Ceux d’Elio et Oliver, ou inversement, qui d’abord se jaugent et s’épient, se tentent puis s’attirent en un lent crescendo, une montée. Nouvel assistant du père d’Elio, éminent professeur et spécialiste de la culture gréco-romaine, Oliver débarque avec ses Converse aux pieds, sa belle gueule et une désinvolture, une espèce d’arrogance toute américaine qui agace ou qui séduit. Elio est agacé. Elio est séduit.
On est jamais loin des clichés ici, on est toujours au rebord, à la limite, et aucun ne semble manquer à l’affaire (et prêtera sûrement, de fait, aux critiques) : la famille unie d’intellectuels épicuriens, la grande villa bourgeoise en Lombardie, le bellâtre aux allures de gravure de mode, des livres partout, sur les tables ou dans les recoins, les airs de piano, les balades à vélo, l’engourdissement estival, les baignades, les terrasses et les villages pittoresques, les repas entre amis, les après-midi qui s’étirent à n’en plus finir, et ce désir fou, vital, un peu tabou (comme celui, déjà, dans Amore)… Tout paraît réapproprié, réinvesti, et en même temps étrangement familier, institué (comme l’était la haute-société milanaise dans Amore, à nouveau), figé dans le marbre ou le bronze des conventions tels ceux des statues. Pourtant Call me by your name parvient à en jouer, à s’en extraire, à les sublimer même.
L’ambiance sensuelle, l’harmonie languide émanant du film usent de ces archétypes pour recréer une sorte d’Éden secret, imaginer un paradis perdu, une parenthèse enchantée où rien n’aurait vraiment d’importance, ne serait éventuellement préjudiciable (la politique, le désordre du monde, l’homosexualité…), sinon la seule ivresse de la vie, de la culture et de l’idylle. Et si l’on souffre finalement, c’est parce que l’on aime et se sépare, et moins parce que l’on craint d’être gay ou d’en avoir la certitude (même si s’affirmer homosexuel restait, pour l’époque, un fait proscrit, une réalité qui ne se disait pas).
Elio et Oliver (Timothée Chalamet et Armie Hammer, d’une puissance d’interprétation remarquable) s’aiment en secret, de façon absolue, débarrassée des normes et d’une possible "morale" (Elio a 17 ans, Oliver en a 24). Et malgré son érudition, malgré son étonnante maturité, Elio a encore pour lui l’innocence, l’opiniâtreté juvénile d’un adolescent qui, soudain, découvre les premiers émois (et les premiers chagrins) comme l’on découvre, au fond de l’eau, des trésors anciens. Et qui appréhendera, entre évidences et caresses (et maladresses aussi), la violence que supposent les sentiments, les choses de la vie.
Si James Ivory, dans la première version du scénario, imposait un caractère plus sexuel à l’histoire (adaptée d’un roman d’André Aciman), Luca Guadagnino y préféra, et y préfère, le trouble des étreintes et une douceur, presque une retenue dans les ébats. Il y a, tout au long de son film, un érotisme qui se nourrit d’un rien, d’une attente, d’un regard, d’une peau en sueur, d’un doigt effleurant des lèvres ou d’une chemise un peu ouverte, et qui, sans cesse, se déplace d’un corps à un autre (celui éphèbe d’Elio, celui robuste d’Oliver, ceux gracile de Marzia ou plus énergique de Chiara), fluctuant parmi les appétits qui se déclarent, ces appétits certains ou que l’on doit taire.
C’est dans un extrait de L’heptaméron de Marguerite de Navarre que lui lit sa mère qu’Elio décèle, comprend précisément la nécessité de parler, de poser des mots sur ce qui le tiraille, et tiraille Oliver de son côté (scène magnifique où ces deux-là, autour de la statue d’un soldat, prennent enfin conscience de "ces choses qui comptent", de "ces choses qui doivent être dites"). Plus tard ce sera son père qui lui expliquera, lors d’une scène plus magnifique encore (et peut-être la plus belle du film), et sans même évoquer l’homosexualité d’Elio parce que c’est un point qui n’a aucune importance, la chance de ce qu’il a vécu avec Oliver ("I never have what you two have") et que la douleur, la flamme d’un amour qui n’est plus se doivent d’être tenues, acceptées, chéries comme le souvenir de quelque chose de primordial à soi ("I remember everything" avouera Oliver au téléphone, désormais loin d’Elio) et de ce qui fût, simplement, beau.
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