2018 est une année cinéma qui commence d'une manière très particulière pour moi : après un flashback éprouvant sur des souvenirs d'enfance soigneusement enterrés ("Jusqu'à la garde"), voici qu'un obscur cinéaste italien vaguement arty réussit à immortaliser le plus bel été de ma vie.
Oh, je ne prétends pas avoir su jamais jouer de la guitare comme Elio sait jouer du piano dans "Call me by your Name", ni évidemment avoir eu des parents aussi brillants intellectuellement que les siens... même si j'aurais, comme tout adolescent survivant - hébété et enchanté - à la fin de son "été de l'amour", vraiment aimé avoir avec mon père cette conversation qui clôt presque le film (meilleure scène vue cette année au cinéma, pour le moment, et de loin...).
Ma Lombardie à moi se limitait aux monts du Morvan, et mon Oliver était une jeune fille, mais ce ne sont là que des détails (d'ailleurs l'homosexualité des deux amants dans le film est un pur non-événement, ce qui est absolument parfait...). Et si je n'écoutais pas encore les Psychedelic Furs mais plus trivialement (?) le Velvet Underground, il n'empêche que cet été-là qu'a filmé Luca Guadagnino est le mien. Et le restera éternellement. Oui, cet emballement de la chair (le sperme poisseux) et cet émerveillement dans le regard de l'être adoré... cet abandon à une nature qui semble encore, à la fin des années 70 (ou en 1983) intouchable, cette ignorance bénie d'une technologie qui allait venir - si vite, si tôt - tout salir... ces mots, écrits, lus (dans des livres !), murmurés, ce jeu des prénoms qu'on échange et qu'on entremêle... ce douloureux éveil à l'âge adulte, accompagné par la fierté d'avoir vécu - oui VECU - un grand amour alors qu'on n'a même pas encore 20 ans... Je ne suis pas seul à l'avoir vécu, bien entendu : ceux qui n'ont pas de coeur, ou plus probablement n'ont pas la chance d'avoir connu un tel été au cours de leur vie, ironisent sur un "roman photo", sur des "banalités" dont ils ne comprendront jamais le caractère essentiel, fondateur même.
Le dernier plan sur Timothée Chalamet - enfin un jeune acteur français vraiment notable ! -, entre émerveillement et désespoir, referme avec douceur l'album de nos souvenirs : l'hiver est arrivé, et il durera tout le reste de notre vie. Mais je n'oublierai pas ton prénom.
[Critique écrite en 2018]