L'une des particularités les plus intéressantes de Call Me by Your Name, c'est cette absence d'opposition qu'on retrouve dans tous les films traitant de l'homosexualité. Dans le film de Luca Guadagnino, pas un seul personnage n'est hostile à l'homosexualité, il n'y a même pas une once d'homophobie. En réalité, Elio (Timothée Chalamet) et Oliver (Armie Hammer) pourraient s'exposer sans problème, sans risquer la moindre désapprobation. Seules les propres barrières qu'ils s'imposent à eux-mêmes et le temps qui passe, font obstacle à leur relation et repoussent le passage à l'acte. Et le titre du film "Call Me by Your Name" ou "appelle-moi par ton prénom", peut être interpréter de plusieurs façons. On peut voir ça comme un simple délire d'amoureux, innocent, plein de tendresse. On peut aussi voir ça comme une preuve d'amour, pour dire à l'autre qu'ils ne font plus qu'un, ou comme un moyen de penser à l'autre.
Le message principal de Call Me by Your Name est résumé par le discours final du père (Michael Stuhlbarg). En s'adressant à son fils Elio, il lui fait comprendre que deux hommes qui s'aiment, c'est secondaire et que ce qui compte, c'est qu'ils se sont aimés. Le film est incroyablement sensuel et ça on le doit principalement au réalisateur Luca Guadagnino et à l'alchimie entre les deux acteurs. Il y a d'ailleurs une différence de traitement entre les scènes d'amour hétéro et homo. La scène de sexe (la seule) entre Elio et sa petite amie Marzia (Esther Garrel) me parait nettement moins sensuelle que les scènes de sexe (elles sont nombreuses) entre Elio et Oliver. On les voit enlacés, se caresser et on a même une scène de fellation. Ces scènes là dégagent beaucoup plus de sensualité et de passion torride que celle entre Elio et Marzia. Rien que la scène de leur premier baiser dans l'herbe est bien plus suggestive et excitante (Elio qui lèche les lèvres d'Oliver), que la scène de sexe entre Elio et Marzia qui est très mécanique et filmée de façon très conventionnelle. Oliver est même prêt à manger une pêche gorgée du sperme de son amant. Entre la tonte de gazon, le fourrage (et la dégustation) de la pêche, l'arrosage de torses et les sucettes express, sans même parler de l'obsession du toucher tout au long du film ... il y a énormément de références sexuelles et sensuelles. L'intensité émotionnelle et l'expression du désir rendent ce film juteux à souhait !
Alors oui, comme le disent de nombreuses critiques, le film est lent et aime prendre son temps, mais c'est pour mieux faire monter le désir entre les deux jeunes hommes et créer un doute chez Elio. Au départ, il semble agacé par l'assurance affichée par Oliver, peut-être un peu jaloux des attentions qu'il obtient de ses parents. Puis, on glisse vers la fascination, l'attirance irrésistible. Les scènes sont étendues et tirent en longueur, parce que les deux se cherchent, c'est la naissance du désir. J'ai aussi adoré le changement de langue, c'est très bien fait, d'un naturel certain.
Timothée Chalamet et Armie Hammer sont parfaits dans leurs rôles respectifs. On voit naitre devant nos yeux une vraie alchimie entre les deux acteurs. leur alchimie ainsi que leur passion est superbement retranscrite à l'écran par des baisers, des caresses, des cadres, des ambiances, des lumières et des musiques minutieusement étudiées. Timothée Chalamet incarne à la perfection le personnage d'Elio. Il parle français, anglais et italien, il sait jouer du piano et de la guitare, mais aussi et surtout, il sait jouer la comédie et il est vraiment très bon (la scène de fin est poignante). Il porte sur lui la confusion des sentiments, la frustration que lui fait ressentir Oliver. On est confronté à un jeune homme en plein éveil sexuel. On comprend facilement tout ce que ressent Elio grâce à un jeu bouleversant de générosité et de sincérité ! Il nous offre une interprétation poignante, vraie et nuancée.
La découverte de son orientation sexuel n'est pas le sujet principal du film, ça n'est même pas un sujet ici. Le fait qu'Oliver soit un homme n'est pas un problème pour Elio et il ne se soucie pas de savoir s'il est gay, bi, hétéro, ou autre. Par conséquent, les problèmes auxquels sont confrontés habituellement les personnages dans les films traitant de l'homosexualité (le déni des sentiments et l'homophobie des proches) ne sont pas abordés ici. L'amour est si fort qu'il déstabilise l'équilibre quasi-parfait de la vie quotidienne d'Elio. Oliver le perturbe, le frustre. Il est déchiré entre son amour et son envie de le haïr. Et de part son jeune âge, Elio ne trouve qu'un seul moyen de l'exprimer, en l'objectifiant et en focalisant toute son attention sur lui. L'érotisme le plus puissant du film vient des regards, des gestes, des sourires entre les deux hommes. Le film baigne dans ce désir charnel masculin. A contrario, Elio a eu une relation sexuelle avec Marzia, mais elle ne représente presque plus rien pour lui, à partir du moment où Oliver est rentré dans sa vie. En fait, Marzia n'est plus qu'une amie "qu'il a baisé" juste parce qu'elle était là et parce qu'il fallait bien qu'il y ait une première fois. La scène de sexe entre ces deux-là ne dérange pas le spectateur, parce que c'est tout ce qu'il y a entre eux deux, pas de passion ni de désir fou. Alors que, entre Elio et Oliver, c'est tellement plus fort et confus.
Call Me by Your Name c'est l'Italie pittoresque qui rappelle la campagne de notre jeunesse, la beauté des images, la BO enivrante, les allusions plus que nombreuses aux Grecs, les références philosophiques (Héraclite disait il y a un moment déjà qu'on ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve), le jeu des langues (au sens propre comme au sens figuré), l'importance de la famille, la religion, le questionnement de soi, les corps dans leurs esthétique, les scènes sur le bord de la piscine, les fruits, les pieds ... le film est blindé de références et d'allusions. C'est une ode à l'humanité, une ode à la vie, à l'art, au cinéma et à l'intelligence.