On ne nous rappellera jamais assez la condition des femmes, même issues d'un milieu privilégié. Camille Claudel pourtant soutenue par son père, sera internée de force à sa mort. L'artiste qui n'aura pas souhaité enfanter, abandonné par son amant, plongera dans une sorte de passivité agressive à se croire légitimement ou pas, spoliée de ses œuvres, ne sortant plus et donnant ainsi l'occasion à sa famille bien pensante de la balayer sans autre forme de procès. Une mère si peu aimante, aux lettres cinglantes, soutenue par un Paul Claudel (Jean-Luc Vincent) revanchard, où la foi de l'homme vient justifier son intolérance. Bruno Dumont filme le destin tragique de l'artiste sans emphase mais marque le traumatisme par des accès brefs mais intenses au refus de sa situation, ne faisant que maintenir son internement. Pleurer de rage ou ânonner à la chapelle dans une ferveur incompréhensible, (comme souvent chez Dumont du reste), avant qu'un sourire timide ne vienne illuminer son visage par un espoir vite remisé.


Il est souvent difficile de s'immerger dans son cinéma, avant de lâcher prise mais Dumont reste un réalisateur hors norme dans son approche souvent minimaliste de ses sujets, ne s'embarrassant pas de l'accessoire, en détournant l'histoire pour nous parler d'autre chose. La gestion du cadre, le choix des décors et de la lumière naturels, sont plutôt immersifs et la désespérance rempli la pellicule. Les extérieurs si rares ici qu'ils en révèlent d'autant plus la perte totale de liberté, un faible rayon de soleil au travers des branches ou les hauteurs caillouteuses balayées par le vent laissent la place aux jeux d'ombres, portes et couloirs, cris des internées, et allers retours incessants à marquer le besoin d'une échappatoire. Encore une fois, les paysages tiennent lieux de réconfort à la déprime ambiante et rejoignent ici la sensibilité de l'artiste à se confronter à la noirceur des hommes.


Avec l'étonnant Hors Satan par ce qu'il révélait du sacré de la nature, et du spirituel chez celui qui n'en a pas forcément la représentation, David Dewaele, marquait l'image à chaque apparition et trouve son antagoniste dans le personnage du frère. Si par ses génuflexions il donnait à voir un personnage humaniste, celles de Paul Claudel confèrent à la comédie, s'arrêtant dans la campagne débiter ses prières, où son orgueil nous agresse au moindre mot.


Tout pourra choquer dans ce déni de la personne, une scène de bain traumatisante, la violence d'un docteur envers Camille qui prépare seule ses repas, l'intrusion des sœurs dans le parc verdoyant. On imagine pourtant difficilement dans cet asile et à l'époque donnée, le portrait bienfaisant qui en est fait, mais Dumont met en exergue par l'absence au monde de Claudel, la profonde solitude d'une condition inacceptable. Comment ne pas prendre en pleine figure la torture mentale, propre à rendre fou n'importe qui.
La faiblesse et l'absence de révolte ont remplacé la fougue créative, où un morceau de glaise impossible à sculpter signera la fin de l'existence.


De ce qui pouvait inquiéter de l'absence de signature du cinéaste trouve sa force dans ce qu'il ne nous donne rien à voir de la vie passée de Camille, pour en renforcer violemment la perte d'identité. Le parti pris de son internement reste un incontournable à l'hypocrisie et vise encore à l'intériorité par la répétition des postures et des regards et les seuls trois jours dans la vie de cette femme ne feront que conforter la réalité des trente années à venir.


Si le film laisse un curieux sentiment de redite, et pourra gêner aux entournures par le voyeurisme du handicap et par ses acteurs pas toujours très bons, les passages didactiques risquent aussi de plomber le récit par la masse d'information débitée. Reste un film marquant, où Juliette Binoche remplace ces acteurs non professionnels sans dénaturer le travail du cinéaste.

limma
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur.

Créée

le 4 mars 2022

Critique lue 158 fois

9 j'aime

21 commentaires

limma

Écrit par

Critique lue 158 fois

9
21

D'autres avis sur Camille Claudel 1915

Camille Claudel 1915
Plume231
7

Une femme de trop !

Et c'est une première pour Bruno Dumont. En effet, il dirige enfin une comédienne (Juliette Binoche) et un comédien (Jean-Luc Vincent) qui sont des professionnels de talent (non, pas la peine de me...

le 14 mars 2022

19 j'aime

4

Camille Claudel 1915
Sergent_Pepper
7

Prison Breakdown

A mesure que l’œuvre de Dumont se déploie dans le temps, on cerne les inflexions qui la font se renouveler. Après les terres arides de Flandres, après le rêve américain de TwentyNine Palms, le...

le 4 sept. 2015

18 j'aime

Camille Claudel 1915
Krokodebil
8

Anatomie d'une artiste

Après le remarqué Hors Satan et une flopée de longs-métrages dont plusieurs récompensés à Cannes, l'enfent terrible Bruno Dumont décide de changer un peu son modus operandi : pour la première fois,...

le 21 avr. 2013

10 j'aime

Du même critique

Apocalypto
limma
10

Critique de Apocalypto par limma

Un grand film d'aventure plutôt qu'une étude de la civilisation Maya, Apocalypto traite de l’apocalypse, la fin du monde, celui des Mayas, en l'occurrence. Mel Gibson maîtrise sa mise en scène, le...

le 14 nov. 2016

76 j'aime

21

Captain Fantastic
limma
8

Critique de Captain Fantastic par limma

On se questionne tous sur la meilleure façon de vivre en prenant conscience des travers de la société. et de ce qu'elle a de fallacieux par une normalisation des comportements. C'est sur ce thème que...

le 17 oct. 2016

60 j'aime

10

The Green Knight
limma
8

Critique de The Green Knight par limma

The Green Knight c'est déjà pour Dev Patel l'occasion de prouver son talent pour un rôle tout en nuance à nous faire ressentir ses états d'âmes et ses doutes quant à sa destinée, ne sachant pas très...

le 22 août 2021

59 j'aime

2