Présenté à la Quinzaine des réalisateurs en 2019, voilà encore un film qui aura mis plus d’un an à trouver le chemin des salles obscures.
Une sortie d’autant plus réjouissante que Canción sin nombre est un premier film péruvien, une cinématographie qui a du mal à traverser l’Atlantique pour nous parvenir.
Le film ancre son contexte dans les quartiers pauvres situés en périphérie de Lima, à la fin des années 1980. On y suit l’histoire dramatique d’une jeune femme musicienne (interprétée par l’incroyable et touchante Pamela Mendoza), immigrée des Andes, et enceinte jusqu’au cou. Lorsque l’heure de l’accouchement vient, elle n’a pas les moyens financiers de faire appel à un hôpital : c’est que la Sécu Sociale est une réalité malheureusement bien française.
Son attention est rapidement attirée par une petite annonce, celle d’une clinique qui offre des soins gratuits. Pour le spectateur, très rapidement la tension monte, à mesure que l’on flaire l’arnaque. Malgré notre terrible envie de crier à cette grande ado « n’y va pas ! It’s a trap », voilà le pire qui arrive bientôt : afin de lui prodiguer des soins, son bébé est rapidement emporté, pour de bon.
Commence alors pour cette jeune mère une douloureuse recherche de l’enfant disparu. Entre bureaucratie corrompue jusqu’à la moelle et évocations à demi-mots d’actions du Sentier Lumineux, un groupe terroriste qui sévit au Pérou à cette période (un peu comme les FARC en Colombie), les déconvenues et les embûches s’accumulent.
Dans sa quête, elle sera aidée par un jeune journaliste, Pedro Campos (interprété par le très bon Tommy Párraga), autant concerné par le potentiel sujet d’article explosif que par le sort de cette maman dévastée. C’est ce dernier qui va mener une enquête minutieuse afin de retrouver l’enfant.
Le scénario, écrit par la réalisatrice Melina León accompagnée de Michael J. White, s’inspire d’une affaire sur laquelle son père avait travaillé au début de sa carrière de journaliste : une enquête sur un vaste réseau de vols et de trafics de bébés, destinés à être proposés à l’adoption à une tranche bourgeoise de la société liménienne (oui, c’est comme ça qu’on appelle les habitants de Lima).
Ce qui marque dans Canción sin nombre, se sont avant tout les choix de mise en scène. Tourné en format 4/3, en noir et blanc, et en pellicule, le grain très particulier de cette image retranscrit assez bien le caractère crasseux du Lima des années 80. Le travail de l’excellent chef opérateur Inti Briones, donne à ce noir et blanc des touches oniriques, notamment lors des scènes sans dialogues, comme la longue ascension d’une côte par la jeune femme afin de rentrer chez elle, ou bien certains plans d’intérieurs, éclairés à la seule lumière d’une bougie. Toute la précarité de ces habitants est ainsi résumé en quelques plans, qui surprennent et captivent le spectateur.
Malgré un rythme que j’ai trouvé un peu lent, l’un des plaisirs du film est également sa musique discrète, composée par Pauchi Sasaki. Celle-ci reprend avec brio les sonorités musicales péruviennes, des villes comme des musiques andines.
Canción sin nombre est donc un drame très social, qui sort de l’ordinaire, autant par son sujet dramatique que par ses choix esthétiques.
De quoi démarrer cette reprise d’activité des cinémas en beauté !