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Voilà un film qui continue de marquer au fer rouge ses spectateurs.
Mais ce voyage au bout de l'horreur en dit plus qu'il n'y paraît de prime abord, et marque sur tous les tableaux.

Non content de réaliser un film d'horreur d'une efficacité glaçante, avec des effets spéciaux suffisamment réussis pour qu'on accuse l'équipe d'avoir utilisé de véritables cadavres (la légende veut qu'il y ait eu intervention judiciaire et menace de saisie du film, et que le responsable des effets spéciaux ait dû expliquer, exemple à l'appui, que ce n'était, finalement, que du cinéma), Deodato dépasse le film d'horreur pour proposer, via une forme novatrice, une critique des mass-media, de la mission civilisatrice de l'homme blanc et de ses ravages, entre autres, sans donner dans le manichéisme de comptoir ni dans la dentelle.

Le sentiment de malaise, ainsi que l'arrière goût étrange que laisse ce film ne vient pas seulement du fait que l'on se soit vomi à plusieurs reprise dans la bouche lors de scènes marquantes d'une barbarie inégalée, atrocement crédible.
La morale de l'histoire, si galvaudée soit-elle, est mise en forme avec une intelligence qui force le respect et qui fait mouche, et le sempiternel constat "le monstre n'est pas celui qu'on croit" fait un autre effet quand on l'entend que quand on se le prend de front, comme un coup de poing en pleine gueule couplé à un coup de pied dans les parties.

Rappelez-vous le foin qu'on nous a fait à la sortie de Blair Witch, du jamais vu, un vrai faux documentaire!!
Bon, outre le fait que le genre horrifique, la culture de la peur au ventre ait utilisé ce procédé largement avant que cette petite équipe d'étudiants s'en gargarise et se l'approprie (c'est quand même un des procédés les plus galvaudés de la littérature fantastique, que ce soit dans le Horlat de façon indirecte, ou dans la moitié des nouvelles de Lovecraft avec ses manuscrits trouvés dans une maison abandonnée et ses journaux intimes qui s'arrêtent par "au secours ils sont là je..."), on peut affirmer sans trop de risque qu'au cinéma, c'est Cannibal Holocaust qui magnifie le processus.



Deodato se fait plaisir, d'ailleurs, en deux temps.

Alors attention, à partir de maintenant, je donne dans le SPOIL dans les grandes largeurs, soyez prévenus!!!!

Deodato se fait plaisir, donc.
Il commence par s'accorder un film d'horreur à l'ambiance malsaine, avec une tension palpable et une morale, disons, euh, un poil colonialiste, avec les méchants sauvages très sauvages et hostiles, alors que le gentil docteur a juste monté une expédition pour retrouver les 3 (ou 4, je ne sais plus) journalistes à succès qui s'étaient aventuré quelques semaines plus tôt, et dont le monde civilisé est sans nouvelle depuis.
La menace est constante, surgissant de chaque zone d'ombre, et quelques scènes d'anthologie, dont la punition rituelle pour infidélité dont nos explorateurs sont les témoins impuissants, traumatisante à souhait, sont là pour épicer le tout.
Et cette moitié de film s'achève, les bandes de la première expédition sont retrouvées, retour à la civilisation.

Si la première partie est efficace, et représente une des plus belles réussites du genre, largement au dessus de n'importe quel Lenzi par exemple, c'est dans la seconde partie que Deodato affirme son propos et son savoir faire.
Tout d'abord en nous faisant découvrir les bandes en même temps que les explorateurs, les commerçants du spectacle ayant vendu les images avant même de les consulter.
Entre interviews, exploitation de la disparition de la première expédition afin de vendre plus, plus cher, et les images d'archives qui excitent la curiosité de tous, on est dans l'attente, une attente malsaine et morbide car on espère la surenchère, on veut de l'horreur. Un jeu de mise en abîme immersif brouillant habilement les frontières entre la fiction et la réalité.
Coté horreur, rien à dire, Deodato nous en donne pour notre argent, avec du rabe à foison, et on ressort aussi retournés que l'équipe de production du documentaire lorsque la lumière se rallume.

Mais un petit retour à la vraie vie, la notre donc, est intéressant, car un film aussi brutal ne peut qu'avoir attisé les flammes de la censure, et plusieurs versions tronquées circuleront, avant que notre époque bénie voit une version intégrale émerger des rushs tronçonnés de ce petit chef-d'oeuvre.

Penchons nous d'un peu plus près sur LA scène commune faisant défaut à la plupart des différentes versions.
(et là c'est le méga spoil, donc ceux qui ne l'ont pas vu feraient bien d'arrêter la lecture ici)
L'équipe de reporters s'ennuie, et, voyant apparaître un couple tout mignon, décide de violer la femme en forçant l'homme à regarder.
Horrible, on comprend que cette scène ait été coupée.
Cependant, la conséquence directe de cette scène, tout aussi barbare visuellement, a été laissé intacte. Et c'est là que la dé(sin)formation commence.
En effet, le lendemain, ils retrouvent la jeune femme en question empalée par ses pairs (oui, on ne rigole pas avec la fidélité chez les cannibales, et on ne chipote pas avec les détails, consentement, tout ça, non, les décisions sont pour le moins tranchées!).
Les salopards feignent un temps la compassion et le recueillement devant la brutalité de la scène (non sans s'accorder quelques sourires et baillements, destinés à être coupés au montage, bien entendu), et repartent gaiement dans leur carnage néo colonialiste.

Déjà là, ça fausse complètement la donne, on a droit dans la version censurée à un acte totalement gratuit et d'une sauvagerie pas piquée des hannetons, alors qu'il est une conséquence directe des agissements de nos gentils reporters.
Bon, sur le bien-fondé de la réaction totalement mesurée et pas du tout extrême des cannibales, je n'épiloguerai pas.
Mais en une coupe, une décision de censeur, c'est tout le propos du film qui bascule, Deodato s'étant interdit la facilité du manichéisme en refusant de faire passer la violence des cannibales comme une simple conséquence du comportement des méchants reporters.
Les pratiques des cannibales sont brutales, le réalisateur ne cherche pas à en faire des "bons sauvages", pas plus que des brutes épaisses et maléfiques. Simplement une autre culture, avec des autres valeurs, sans jugement porté, une vraie prise de risque, car les limites sont troubles, et le positionnement moral est difficile dans ce film.
Difficile de ne pas être choqué par la cruauté des rites et coutumes locales, de ne pas juger, et c'est une des forces du film, pousser le spectateur dans cette position inconfortable où l'on est obligé d'accepter en tant que données la façon d'être de l'Autre.

Mais s'il laisse délibérément le spectateur à l'abandon, le forçant à trouver lui même sa position par rapport aux cannibales, Deodato est par contre très clair dans ses positions quant aux reporters.

Malheureusement, une petite scène en moins, et tout le jeu est faussé. Les cannibales se transforment en sauvages qui utilisent des jeunes femmes en guise d'épouvantails, et pour un peu, on pourrait croire que le film raconte simplement la dérive de salopards "civilisés" dans un milieu de salopards sauvages.
Pire, on pourrait aussi bien se dire que ces journalistes se sont laissés emporter par le climat ambiant, s'imposant par la violence par nécessité.
Bref, alors que la version complète stigmatise clairement l'attitude de cette petite bande de reporters, cette petite amputation remet tout en question.

Et c'est mal.
D'autant plus que sa conséquence ne s'arrête pas là, car évidemment, les cannibales se vengent, oeil pour viscères, et viol pour viol.
Ils s'empareront donc de la femme blanche et lui feront subir ce que les reporters ont fait subir à l'une des leurs.
La dimension rituelle de cet acte est évidente tant dans la façon de l'exécuter (on est clairement dans une démarche punitive et non dans un déluge de sauvagerie jubilatoire typiquement "série B") que dans la logique comportementale "brut de décoffrage" de ces cannibaux, car on a pu voir à travers le film qu'ils ne donnaient pas dans la dentelle, que ce soit via la scène de punition de la femme adultère ou l'empalement de la jeune victime de viol.
Encore une fois, c'est clair pour qui connait le fin mot de l'histoire, mais sans le viol originel pour expliciter l'empalement et le viol rituel, on se retrouve avec des cannibales ultra barbares qui s'amusent à empaler les leurs pour le fun, et qui baisent la nourriture avant de la consommer!

Un tel manque de discernement de la part de la censure en dit long sur le regard que ces derniers portaient sur le film et ses prétentions, n'hésitant pas à éviscérer idéologiquement le film.
En conclusion, les cannibales sont des sauvages donc c'est normal qu'ils violent et massacrent, mais quand ce sont des gens civilisés, c'est plus pareil, ça pose problème, ça dit autre chose. Alors on coupe.


Je sais, j'insiste peut-être un peu lourdement, mais c'est pour une raison simple (et louable!) : la dimension critique de ce film est quasi systématiquement occultée, et il passe pour une sorte de torture porn extrême, et un film de série B, ces films "cultes" qui impliquent indulgence de la part du spectateur tant ils sont vide de propos, et je trouve ça injuste!
Ce film va beaucoup plus loin, réussit un tour de force tant visuel que formel, et a un propos qui dépasse de très loin ce que le "genre" a pu apporter par la suite.

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le 24 juil. 2011

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toma Uberwenig

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