Captain Fantastic : « Fuck them all » [Critique par Frames]

Présenté au 69e Festival de Cannes dans la catégorie Un Certain Regard, où il a obtenu le Prix de la Mise en scène, Captain Fantastic balance à la fois entre le road-movie et le portrait de famille rocambolesque qui, contre toute attente, pousse à une certaine réflexion. Comment ? Et bien tout simplement à travers l’histoire de Ben Cash, un père de famille qui, au fil des années, a cultivé un réel mépris envers le système et s’est évertué à vivre en marge de la société. Dans les forêts recluses des États-Unis, Ben éduque ses six enfants hors normes (et c’est là un euphémisme) dans l’unique but d’en faire des adultes cultivés, libres de penser d’eux-mêmes et à la condition physique digne de véritables athlètes. Entre parties de chasse pour se nourrir, récitation des amendements de la constitution américaine ou encore célébration de Noam Chomsky au lieu de Noël, la famille n’a rien d’ordinaire. Mais tout bascule le jour où leur mère décède, les contraignant à quitter leur écosystème habituel pour s’engouffrer, pour la première fois de leur existence, dans le monde « réel », plein de jugement envers les méthodes d’éducation de ce père particulier.


S’il est vrai que ce film n'est pas tout droit inspiré d'une histoire vraie, le scénario fait toutefois écho à la propre enfance du réalisateur, Matt Ross. Né au sein d’une famille s’intéressant aux modes de vie alternatifs, Matt Ross a longtemps vécu dans une communauté fermée de l’Oregon, sans le moindre accès à la plupart des innovations technologiques. Ainsi, pour son deuxième film en tant que réalisateur, ce dernier a cherché à explorer les problématiques liées à l’éducation et les choix qu’imposent les parents à leurs enfants.


Un père ou une mère ont-ils vraiment le droit d'imposer leurs propres convictions, aussi nobles et exemplaires soient-elles, à leur famille ? Disposent-ils du droit de modeler la vie de leurs enfants à leur image et sans leur offrir la moindre alternative, quitte à totalement les isoler du monde ?
Captain Fantastic interroge les conformistes les plus téméraires de la société actuelle à travers le discours de Ben qui fait office de dénonciation antisystème, de remise en cause du capitalisme et du consumérisme. Et ce, sans qu’à aucun instant le film ne donne de leçon au spectateur ou ne soit moralisateur. Au fil des minutes, ce long-métrage parvient à nous faire basculer entre acceptation et contestation de ce que l'on voit, mettant constamment nos croyances à rude épreuve. Il n’est donc pas anodin de se retrouver à partager les choix de Ben, puis de vite se mettre dans la peau des enfants, coupés de la réalité. Car même si on adhère à la théorie de ce père en opposition avec le capitalisme et la consommation à outrance, on ne peut que s'inquiéter pour ces enfants coupés de la société et évoluant de manière quasi sauvage. Finalement, on en sort avec une unique observation : il est extrêmement compliqué d’être critique de la société occidentale lorsque nous-mêmes en faisons partie intégrante.


Certes, il est vrai que par moment, certaines scènes peignent avec exagération la société actuelle, notamment en exposant avec grossièreté des adolescents dits « normaux », incultes
et peu civilisés. Cependant, mis à part ces quelques scènes clichées, Captain Ross reste un film dynamique, coloré et plaisant à regarder. Matt Ross réussit avec brio à nous faire passer du mélodrame à la comédie, tout en conservant l'attention du spectateur malgré certaines longueurs. Mais cela est principalement dû au jeu d’acteur époustouflant de Viggo Mortensen (alias Aragorn dans le Seigneur des Anneaux). Ce dernier est tout simplement parfait pour ce rôle qui semble avoir été conçu pour lui. Notons également la crédibilité du casting constitué de très jeunes acteurs jouant le rôle de ces enfants particuliers, et tous aussi talentueux les uns que les autres.
Finalement, Captain Fantastic apporte au public une dimension inédite qui ne manque pas de justesse et met ainsi en avant notre société, ses systèmes et croyances, habituellement occultés par le conformisme de notre quotidien. Alors Ben est-il réellement le superhéros fantastiques que le titre suggère ? Ou simplement un père loufoque faisant office de gourou transformant sa famille en une sorte de secte ? À chacun la tâche de se forger sa propre idée en regardant le film...

FramesJanco
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le 21 oct. 2021

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Frames Janco

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