Je m’étais juré de ne pas mater ce film pour tout un tas de raisons.
Premièrement, la très, très légère fatigue de l’omniprésence marvelienne dans le monde du blockbuster hollywoodien (autant dire la propagation du virus Disney), en dépit du globalement satisfaisant Infinity War, qui avait ravivé mon intérêt. Mon ignorance absolue du personnage de « Captain Marvel » aurait pu être un autre argument contre, mais connaissais-je les gardiens de la Galaxie ou Dr Strange avant de les découvrir ? Avouons-le : combien étions-nous, en France, à connaître « Iron Man », avant que RDJ ne nous emballe avec son show ? En glissant gracieusement sur le léger ridicule de son nom, on pouvait attendre le meilleur comme le pire de cette capitaine, dont on s’étonne d’ailleurs que les Québecois ne l’aient pas intitulée Capitaine Merveille… mais le pire était davantage crédible.
Deuxièmement, l’effet, ou plutôt l’ABSENCE d’effet qu’avait produit sur moi la première bande-annonce du film : esthétiquement, ça ressemblait à toutes les autres productions Marvel (certes, ils vivent tous dans le même univers, donc souci de cohésion visuelle, et blablabla, mais rien à foutre), il ne s’y dessinaient les contours d’aucune intrigue séduisante, nulle trace d’un antagoniste digne de ce nom, et surtout, Brie Larson, toute oscarisée qu’elle fût, n’avait pas l’air bien convaincant dans le rôle-titre.
Troisièmement, la très, très légère insistance de la gigantesque machine promotionnelle sur la composante féministe du film. Le « HER » devenant « A HERO » dans la bande-annonce, la suggestion que Marvel allait révolutionner la représentation des héroïnes féminines au cinéma en offrant au monde la PREMIÈRE adaptation de comics ayant une femme pour personnage principal (alors qu’Elektra était sorti il y a déjà treize ans)… mais surtout en ouvrant ENFIN la voie aux héroïnes d’action en cette glorieuse ère d’émancipation post-#metoo, comme si n’avaient jamais existé la princesse Leia de Star Wars, l’Ellen Ripley d’Alien, la Sarah Connor de Terminator, la Trinity de Matrix, la Jessica Biel (zéro souvenir du nom de son personnage) de Blade : Trinity, la mariée de Kill Bill, la Selene de la saga Underworld, Xena, Nikita ou Buffy à la télévision, et bien des personnages féminins des James Bond de ces vingt dernières années. Désolé, Marvel, ou devrais-je plutôt dire Disney, mais si. Et ton insistance à réécrire l’histoire n’incline pas à la tolérance.
Quatrièmement, Brie Larson, tout court. D’abord par la façon dont elle s’est mise à dos une partie de l’interweb en confondant tournée promotionnelle et campagne politicienne, cochant toutes les cases du progressisme bon teint en stigmatisant l’homme blanc (vous savez, celui qui représente la majorité du public des productions Marvel…), fustigeant le fameux patriarcat qui, comme chacun sait, maintient la femme des sociétés occidentales dans un état d’asservissement médiéval, et appelant de ses vœux la discrimination positive la plus radicale, J.J. Abrams style. Ensuite par son attitude générale, celle d’une tête de nœud de première, qu'illustrent remarquablement, entre autres, le message Instagram qu’elle avait posté en « hommage » à Stan Lee, le jour de sa mort, et son comportement aberrant de narcissisme dans l'affaire Joe Gil. Alors, certes, il est important de ne pas confondre la valeur d’un film avec les agissements de ses acteurs… mais dans ce cas précis, les propos de l’actrice ne semblaient pas sortir de nulle part ; ils s’intégraient parfaitement au discours ambiant que sert la propagande progressiste hollywoodienne, sous l’emprise de plus en plus prégnante d’une sorte de « minoritisme » intersectionnel, agenda que sert de plus en plus ardemment des entreprises comme Disney et Netflix. En gros, il était fort probable que la Brie Larson, pas une flèche à la base, soit sortie du tournage de Captain Marvel encore plus idiote.
Cinquièmement, est apparu, quelques semaines avant la sortie du film, l’OVNI de Robert Rodriguez et James Cameron Alita : Battle Angel ; film très inégal, mais terriblement divertissant et attachant, puisque doté d’une âme, et d’un grand capital sympathie. Le film bénéficiait d’une fanbase limitée mais hyper-efficace (d’autant plus motivée dans son soutien au film que la fin de ce dernier appelle IMPÉRATIVEMENT à une suite), et la partie affreusement réac de cette fanbase a vu dans Alita l’occasion parfaite de conchier Captain Marvel : un énième rappel qu’on peut faire un film avec une héroïne d’action « bad ass » sans sermonner le public. Et la polémique Rotten Tomatoes n'a absolument rien arrangé.
Le peu d’intérêt que suscitait en moi l’entreprise Captain Marvel depuis le tout départ, additionné à l’antipathie que m’inspirait inévitablement la dimension politique de l’événement, avait décidé mon boycott du film. Cette option est rarement recommandable quand on aime flinguer en connaissance de cause, mais là, l’heure était grave. Ce n’était plus une question de curiosité cinéphilique, mais de principe.
Seulement voilà, vous êtes bien en train de me lire, preuve que je ne me suis pas tenu à cette décision. Ai-je donc trahi ma parole ? Suis-je un homme de peu d’honneur ? L’heure n’est-elle finalement pas si grave ? Non, non, et si. Je me suis simplement rendu au multiplexe le plus proche, une de ces usines à gaz où personne ne remarque personne, j’ai pris un ticket pour Alita : Battle Angel, et je me suis faufilé dans la salle où était projeté Captain Marvel. Bénéficiait de cette embrouille : a) un film à soutenir et b) ma curiosité morbide. N’en bénéficiait pas : c) Disney.
La question est maintenant : qu’en ai-je tiré ?
Soucieux de ne pas donner au lecteur l’impression d’un défouloir plus politique que cinéphilique, je vais procéder par points, que je qualifierai arbitrairement, et non sans une certaine prétention, de « faits ».
Fait n°1 : Captain Marvel n'est pas l’œuvre de propagande tant redoutée. On peut amplement le qualifier de Captain Feminist puisque le « girl power » se manifeste en de nombreux endroits (de « We are about to show these boys how to do it ! » à l’inévitable « You’re not strong enough, you’re too emotional ! » des méchantes figures patriarcales), mais on a vu bien, bien pire.
Fait n°2 : CM n'est PAS le désastre qu'espéraient les affreux réacs. Ajouter la médiocrité parfaite à la propagande (qui n’est, nous venons de le constater, même pas parfaite) aurait fait sens, mais la nature n’est pas toujours bien faite. Quelques morceaux spectaculaires, d’une jolie maîtrise technique, comme la scène du crash, parviennent à étonner (fût-ce vaguement), surtout de la part d'un couple de réalisateurs pas vraiment dans son élément. Le film se permet même un moment de direction artistique un chouïa inspiré avec les combinaisons d’infiltration des Krees et leurs yeux incandescents qui, avouons-le, rendent plutôt bien – quoique l’on s’interroge sur leur utilité tactique. Et l’encéphalogramme du scénario traverse même une légère activité lorsque se révèle la vérité à la fois sur l’escouade de Krees dont Carol Danvers faisait partie et sur les skrulls – bien que le comportement de ces derniers ne fasse pas pleinement sens, rétrospectivement. Par ailleurs, Jude Law, au début pas super crédible en maître de guerre, campe en revanche un antagoniste décent dans le troisième acte. En gros, ce n’est pas la défaite du cerveau à la Aquaman. Ça ne sort ABSOLUMENT PAS du lot Marvel, que ce soit dans le fond, généralement conventionnel, ou dans la forme, elle aussi convenue à 99,8%, mais ce n'est pas non plus mal foutu, ni mal rythmé : c’est de l’hollywoodien qui fait le job. Le rétif au genre y verra une perte de temps absolue, mais le pop-corneur tolérant n’en sortira pas traumatisé.
Fait n°3 : pas traumatisé, mais pas particulièrement emballé non plus (à moins d’être une de ces collégiennes esprits rebelles-kawaii qui ont déjà le poster du film dans leur chambre), car comme prévu, le premier problème du film, c’est… elle. Brie Larson. Ou plus précisément, qu’elle en soit un. Je n'ai même pas eu besoin de mon a priori pour la trouver inepte. Pas crédible physiquement, peu importe toutes les vidéos d’entraînement diffusées sur son Instagram, et pas assez charismatique, du moins pas assez pour le rôle. Ce n'est pas une mauvaise actrice, on avait pu le constater dans State of Grace (plus que dans le surestimé Room). Captain Marvel lui donne même UNE occasion de le rappeler, face à Annette Benning, à la suite du crash. Mais ça n’en fait pas une superhéroïne crédible. Elle n'a ni la plastique, ni l’aisance physique, ni le charisme d'une Gal Gadot qui, elle, rendait sa Wonder Woman instantanément sympathique, en plus d'avoir une paire de fesses appropriée, contrairement à la plate Brie (pardon).
Fait n°4 : en même temps, Carol Danvers, le personnage, ne l'a pas vraiment aidée. Soyons honnêtes, il passe la première partie du film à se la jouer, aussi satisfait de lui-même que son interprète (« je suis la meilleure, fermez vos gueules »), au point de donner très tôt envie de lui filer des tartes dans la gueule, d’autant plus qu’on ne trouve pas de justification notable à sa prétention (son pouvoir lui a été avant tout donné) : un héros bien viril se serait comporté de cette façon dans un film d’action des années 90, on y aurait vu une arrogance américaine, peu importe qu’il vînt d’une autre planète. Puis quand vient la seconde partie, où Danvers devient plus supportable, entre autres parce qu’elle a réalisé que ses précieux Krees ne sont pas une espèce si héroïque que ça, on découvre queeee baaaaah en fait, elle n'a rien d'intéressant à découvrir sur elle-même, puisque le personnage ne l'est pas. Ses relations à sa BFF sont le seul élément qui fonctionne vaguement d'un point de vue dramatique, mais c'est bien maigre. Et surtout, le film fait d'elle une « surfemme » (?) encore plus indestructible qu’elle ne l’était au début, alors qu’un tout antagoniste qui se respecte DOIT avoir des points faibles. Le film essaie de la rendre cool trop vite, et ce n’est pas naturel, ça ne coule pas de source, et il l’ignore, et il se plante, et ça se voit. 99,8% du public, même à la page du MCU, ignorait l’existence de cette nana il y a encore un an : QUI est-elle pour porter carrément le NOM du studio ? Ou pour inspirer celui des AVENGERS ? Désolé, Marvel, mais indépendamment du miscast Brie Larson, la différence entre ta Captain Feminist et la Diana Prince de DC est comparable à celle qui distingue une salade plastifiée d’Exki avec un succulent bœuf de Wagyu de la Tour d'Argent.
Fait n°5 : CM n'est donc pas non plus une claque dans la gueule des « haters », et pour davantage de raisons que son héroïne : sans être aussi mauvais qu'un Thor 2 ou un Ant-Man 2, il se situe plus près du bas du panier que du haut. Encore une fois, l’auteur de ces lignes va voir ce genre de films avec le logiciel de lecture approprié. L’histoire est hautement délirante, avec son chef skrull qui cause parfois comme un lascar du tierquar, et le design de son espèce est d’un manque d’originalité sidérant, même dans le contexte Marvel (on pense à l’espèce antagoniste du premier Star Trek du susmentionné J.J Abrams, par exemple), mais justement, on accepte, parce que ça fait partie du jeu. Ce qui ne fait en revanche PAS partie du jeu, c’est de ne rien laisser de mémorable au spectateur. Insistons sur le fait que le besoin d'une certaine harmonie visuelle au sein du MCU n'est PAS une excuse pour faire un film sans plus-value dans ce domaine : Waititi avec Thor Ragnarok, les frères Russo dès le Soldat de l'Hiver, et James Gunn avec ses Gardiens ont bien réussi à s'approprier les codes esthétiques de cet univers. Tout le troisième acte du film est censé construire son divertissement sur le « buddy movie » entre l’héroïne et SLJ, dont le rajeunissement est un véritable accomplissement technique (ça, Hollywood sait faire), mais il ne produit AUCUNE espèce d’étincelle. Comment en aurait-il pu être autrement ? L’alchimie entre les deux acteurs est proche du zéro, ladite héroïne étant bien trop obsédée par sa propre classe internationale pour s’intéresser à quiconque d’autre, et SLJ n’ayant aucune raison d’en avoir avec cette « Captain Feminist » et son expressivité de calamar. Leur duo échoue généralement, un peu comme l'humour du film, qui tombe souvent à plat, et repose bien trop sur la ringardisation des 90's, fût-elle affectueuse (vous avez vu ces blaireaux qui utilisent Altavista !). Quant au climax de fin, il fait dans le boum-boum classique, pas particulièrement désagréable à regarder, mais rasoir comme la plupart des boum-boum de fin des production Marvel. Et le chat est top comme tout le monde le dit, c’est vrai, mais ça reste un gadget.
Fait n°6 : même si on la trouve potable, Carol Danvers n'a donc pas les épaules pour se retrouver à la tête des Avengers, peu importe combien de superpouvoirs on lui a prêté. Autant dire que si cette Captain « Je sors de nulle part mais ça fait rien, et puis de toute façon, vous allez devoir faire avec » se révèle être l'Avenger qui BAT Thanos, ça ne le fera pas du tout, DU TOUT.
La note de quatre étoiles que je lui donne n’a, de fait, rien à voir avec mon orientation politique (et j’en suis le premier surpris). Attention cependant, Marvel : ton bilan a beau ne pas être sensationnel, tu as accompli en dix ans quelque chose d'unique dont il serait dommage de dégrader le souvenir pour une simple question d'agenda politique. C'est avant tout l'argent qui est censé faire tourner le monde.
Remarque annexe : le carton de CM est indéniable, mais certaines rumeurs de manipulation par Disney le rendent suspect...