Carancho devant : le poids des morts, le choc des os

Pablo Trapero est argentin, dans une Argentine qui a sûrement connu des jours un peu meilleurs. Alors, de temps en temps, au détour de films chocs, il met une claque visuelle à la société de son pays, en en dénonçant les travers.

On se souviendra à cette occasion de son film "El Bonaerense", qui avait concouru à Cannes dans la sélection "Un certain regard". Il y dénonçait la corruption endémique dans la police de la province capitale. Et de son "antre des lions", le très beau "Leonera".

Trapero replonge donc dans l'enfer de la métropole argentine, et sa compagne (dans le rôle féminin principal) avec lui, pour explorer cette fois le milieu trouble de ces avocats véreux, faisant la course aux accidentés de la circulation (première cause de mortalité en Argentine (!) ), pour les conseiller en spoliation d'assurance, et empocher au passage de grasses commissions. Sosa est de ceux-là, avocat radié du barreau, n'hésitant pas à monter de toutes pièces des cas pour le compte de "La Fundacion", vaste entreprise d'escroquerie. Jusqu'à ce qu'il rencontre Lujan, médecin urgentiste débordée et toxicomane, et qu'il décide de se ranger.

"Carancho" est un polar nerveux, à l'ancienne. Tous les ingrédients sont là : le héros interlope et blasé, les voyous malfaisants comme une ombre permanente, l'argent (très) sale, les scrupules remisés au placard, la violence rampante. Et la critique sociale.

Avec bien évidemment, un feu de tous bois contre ces exploiteurs contre ces exploiteurs de la misère galopante des rues de Buenos Aires, se prenant pour "l'assistance sociale". Le portrait en est sans concession. Mais aussi, encore une fois contre la corruption policière, de mèche dans tous les mauvais coups, et plus encore, aux ordres des mafieux.
C'est aussi une charge sévère contre la situation de l'hôpital en Argentine : locaux insalubres, insuffisamment équipés, médecins en nombre trop restreint, soumis à des rythmes infernaux par leurs supérieurs.

Le tout filmé dans un film vif, avec force gros plans pour capter les émotions, littéralement à fleur de peau, des deux héros, magnifiquement interprétés. Ricardo Darin et Martina Gusman sont totalement juste, d'une sobriété exemplaire et maitrisée.
La caméra dévoile la violence, et, autre réussite, sans voyeurisme. Elle est là, elle assiste, mais le réalisateur n'en rajoute pas dans l'escalade de l'horreur, le peu montré est largement éloquent. Voir par exemple l'altercation entre les deux patients, couverts de sang, mais retrouvant leur vaillance lorsqu'il s'agit d'en découdre. Il serait dommage de ne pas parler de la parfaite utilisation de la lumière, et des clairs-obscurs.

Le mieux est encore d'être soumis à l'électrochoc de ce film dense, qui sous des dehors de film noir classique, se révèle profondément original. Un vrai régal, tendu, qui ne vous lâche pas une fois le générique de fin terminé.
Pedro_Kantor
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le 3 févr. 2011

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