Il est difficile de décrire avec éloquence une expérience cinématographique comme Carol.
Je mets rarement la note maximale et donc ce film occupe une place spéciale pour moi, une place qu’il n’occupera sans doute pas dans votre palmarès cinéphile, mais que je vais tenter d’expliquer.


Délicate opération donc que de tenter de transmettre tout l’amour que l’on peut avoir pour un film, d'en restituer l’essence sans la ternir d’idées préconçues et d’attentes qui seront peut-être détruites. J’avais tellement envie de voir le film depuis qu’on a vu les premières images à Cannes et je suis tellement contente que mes attentes n’aient pas été déçues. Et aujourd’hui j’ai tellement envie que vous aimiez Carol que j’ai peur d’en dire trop. J’ai décrit ce film comme une expérience et c’est exactement comme ça qu’il faut l’aborder. Le fond rejoint si bien la forme que le film devient un objet d’art, un produit délicat, pour les sens, à consommer sans modération.


Je vais quand même tâcher de parler de ces choses objectivement. Donc, comme chacun le sait, Carol est une histoire d’amour entre deux femmes dans le New-York des années 50, Carol et Therese, la première est une bourgeoise en instance de divorce, mère d’une petite fille et l’autre, plus jeune, est vendeuse dans un magasin de jouets, presque fiancée et photographe à ses heures perdues. A l’origine de ce film se trouve un livre en partie autobiographique écrit par Patricia Highsmith (notamment connue pour Le talentueux monsieur Ripley ou L’inconnu du Nord-Express) et dont le scénario adapté a été écrit par Phyllis Nagy il y a presque deux décennies. Autant dire que ce projet est un « pure labour of love », avec un ridicule budget de 12 millions de dollars, qui ne doit son existence qu’à la persévérance. Mais finalement, c’est aussi bien que le film ne voit le jour qu’aujourd’hui, tout d’abord parce qu’il a pu avoir la réception qu’il mérite, mais aussi parce qu’il donne l’impression d’être le produit parfait de chacun de ses composants et qu’on ne voudrait rien y changer.


La grande force de Carol, selon moi, c’est qu’il parvient à transcender le genre dans lequel on le place, à savoir une histoire d’amour lesbien, pour devenir une histoire d’amour, tout court. Cet amour, bien qu’interdit à l’époque, n’est jamais remis en question par les protagonistes, il n’y a pas de questionnement existentiel sur l’identité, de lutte sacrificielle contre une société puritaine tyrannique ou je ne sais quel obstacle mélodramatique. Elles ne sont pas torturées par cet amour mais sublimées par lui. Ce qui est bien relié à l'époque par contre, c'est cette pudeur dans l'expression de leurs sentiments, tous exprimés avec subtilité et très peu de mots. Un amour dont elles ont chacune conscience mais qu'elle ne savent pas expliquer avec le langage de la société corsetée dans laquelle elles évoluent. La seule fois d'ailleurs où 'I love you' est prononcé correspond à un sommet de tension dramatique intense où on retient son souffle, je n'en dirais pas plus...


Bien sûr, leur histoire rencontre des obstacles, notamment du côté de Carol, dont le mari n’accepte pas qu’elle le quitte et utilise leur fille comme chantage émotionnel pour l’obliger à rester avec lui. Mais c’est un mari amoureux de sa femme, désespéré et attirant presque la sympathie (j’ai dit presque !). Je ne trouve pas que les personnages masculins soient diabolisés, c’est seulement qu’ils se rendent compte que « leurs » femmes n’ont pas besoin d'eux. Leurs réactions sont tout à fait humaines et plausibles par rapport à l'époque.


Je trouve que le film transcende aussi son cadre grâce à la puissance émotionnelle proposée par les deux actrices, qui ont une telle alchimie, palpable même dans un simple échange de regards, qu’on se demande si elles n’ont pas elles-mêmes une liaison dans la vraie vie (wink wink) (je plaisante bien sûr).
En même temps vous allez me dire, qui ne serait pas amoureuse de Cate Blanchett, et vous avez raison. Que dire de cette femme, si ce n’est qu’elle est majestueuse, magnétique, envoûtante et que moi aussi je l’aime, depuis longtemps d’ailleurs. Quand elle ne s'adresse pas aux gens de sa voix suave et grave, elle en train d'allumer une cigarette ou de toucher légèrement ses cheveux... Plus ça va et plus je la trouve merveilleuse, elle vient d'une autre planète.
Avec Rooney Mara elles nous emportent dans ce tourbillon du coup de foudre, et comme elles on a le cœur battant lorsque le générique de fin débute (et pour moi la larme à l’œil). Face à une histoire homosexuelle se pose souvent la question de savoir si on va réussir à s'identifier, à s’investir dans la relation, mais Carol balaye tout cela en quelques minutes.
Tout est dans les regards furtifs ou au contraire intenses, le touché, le sublime d’un amour jamais explicitement exprimé pendant une grande partie du film, le grain des visages sur la pellicule, la buée sur les vitres d’une voiture, Cate Blanchett sa cigarette aux lèvres ou le sourire mutin d’une Rooney Mara aux airs d’Audrey Hepburn… En transcendant son cadre, Carol devient le plus bel hommage possible fait à l’amour au féminin.


Tout à l’heure je disais que le fond rejoignait la forme et faisait de Carol une œuvre supérieure à la somme de ses parties : La réalisation est inspirée et délicate, Todd Haynes s’attarde sur les détails exquis, soutenu par une photographie superbe. Pour recréer son New-York des années 50, il s'est inspiré notamment des photographies de Vivian Maier, un détail intéressant je trouve puisqu'il met en avant une volonté de féminité dans l'image, mais expose aussi un jeu sur le regard à tous les niveaux (Carol est l'objet de désir de Therese, qui la photographie souvent dans le film).
La musique contribue également à cette ambiance céleste, elle m’a d’ailleurs rappelé quelques notes de la bande son d’un autre grand film, La valse dans l’ombre, où là encore je parlais de sublime, comme quoi, comme le dit si bien Carol à Therese,
« there is no accidents, and everything comes full circle ».


Faites-vous plaisir et allez-voir Carol.

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le 26 janv. 2016

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Melly

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