Ce qui est amusant, et surtout triste, en ces temps de renaissance des questionnements féministes, c’est de voir les journalistes demander aux actrices si elles le sont, féministes. Peut-être que je suis stupide, mais le féminisme c’est un mouvement qui se bat pour obtenir la parité entre hommes et femmes non ? Donc, j’aimerais bien savoir quel est le sens de cette question ? Ils pensent qu'elles vont répondre quoi? « Non non, moi j’aime gagner moins que l’homme pour le même travail et payer mes tampons une blinde !» (Je vous renvoie à la super chronique de Sophia Aram si vous êtes passés à côté). J'ai quand même envie de m'arracher les cheveux devant tant de bêtise. Est-ce qu’on poserait la question à un homme ? Non. Est-ce qu’il faudrait la lui poser ? Peut-être. Est-ce qu'il faut renommer le féminisme par un mot plus neutre pour qu’on arrête de faire passer notre envie d’égalité pour des lubies de femmes qui ont leurs règles et haïssent les hommes?...
Longue intro je sais, mais vu le thème, je me suis dit que c’était le bon moment de sortir ce que j’avais sur le cœur (j’en ai bien plus mais ça serait trop long).
Au début je n’étais pas trop décidée à écrire une critique, mais quand je vois ce que certains ont écrit sur le site à propos du film, je me suis dit qu’il fallait que je le défende un peu.
Je vais établir tout d’abord un fait : oui messieurs, vous en prenez pour votre grade. Je vous laisse quelques instants pour vous remettre du choc! J’en ai marre de voir des critiques de mecs se plaignant que le film ne dépeigne que des machistes. Vous croyez vraiment qu’on exagère ? Le film n'est, de toute façon, pas si manichéen. Je suis d’accord qu’il devait forcément exister des hommes en faveur du vote féminin et autres égalités, mais on parle quand même d’un mouvement qui a dû devenir violent parce que les hommes s’en fichaient comme de l’an 40!
Vous voir vous plaindre de ça c'est un peu faible je trouve. C’est comme de se plaindre que les blancs soient tous esclavagistes dans 12 years a slave! Alors bon, j’ai quand même bon cœur, voici quelques tuyaux pour réparer votre égo blessé :
-C’était il y a 100 ans donc on accuse davantage vos aînés que vous, du calme.
-Vous pouvez toujours dire que vous auriez été le mec du film qui soutient la cause de sa femme et l’aide à préparer des explosifs (ou Brad Pitt, le gentil blanc dans le cas de 12 years, comme vous préférez).
Voilà passé ce fait, on peut parler du film. Tout d’abord, l’atout principal de son histoire c’est l’idée de se focaliser sur une petite blanchisseuse issue de la classe ouvrière, Maud Watts, autrement dit quelqu’un qui a tout à perdre, enfin le peu qu’elle a, en s’engageant dans le mouvement. D’abord non concernée par la cause des Suffragettes, il est intéressant de voir comment l’esprit collectif va la galvaniser et l’emmener peu à peu vers les plus radicales du mouvement.
Le fait de se concentrer sur un personnage lambda dans la population et non sur une figure de suffragette connue permet d’universaliser la cause et de lui donner un aspect intimiste qui aurait manqué si ce ne fut pas le cas. J’avais peur d’un biopic assez lourd et impersonnel, alors qu’ici, même si le film reste assez classique dans sa mise en scène, je me suis vraiment attachée aux personnages. Il faut dire que Carey Mulligan est vraiment très touchante, c’est une actrice que j’apprécie de plus en plus. Meryl Streep ne fait qu’une brève apparition, dans le rôle d'Emmeline Pankhurst, une des pionnières du mouvement, sa tête sur l’affiche ne sert donc qu’à faire la pub du film (et why not?).
Ce focus sur une femme du peuple permet aussi de mettre en lumière les conditions de vie déplorables des pauvres gens en bas de l’échelle, qui finalement ont de plus gros problèmes que le simple droit de vote. Franchement, en travaillant dans une blanchisserie à l’époque, ton espérance de vie ne devait pas être bien longue. Je ne vais pas faire ici la liste des aberrations sociales et politiques abordées, tout d’abord ce serait trop long et ensuite parce que ce serait retirer au film une part de son travail. Justement, c’est un point sur lequel je consens que le film se fait un peu engloutir par son ambition sociale : léger effet catalogue, même si ça reste très cohérent par rapport à l'histoire.
Ce qui m’a marqué (et également dans les portraits de suffragettes que j’ai pu lire par la suite) c’est que les maris n’ont pas l’air d’être systématiquement en désaccord avec les idéaux de leur femme, mais dès qu’elles se font arrêter et commencent à faire jaser, c’est là qu’il faut arrêter les bêtises et rentrer à la maison. L’honneur et le respect du patriarcat avant tout. Cette honte faite à la famille était d’ailleurs une des armes préférées des autorités pour décourager les nouvelles recrues d’aller plus loin.
Pour ceux qui disent que ces femmes étaient coupables de terrorisme, je voudrais juste souligner, que bien que violentes, elles ne blessent et ne tuent personne, donc je vous prierai de bien vouloir descendre de vos grands chevaux. De nombreuses luttes légitimes menées par les hommes se sont faites dans la violence elles aussi et je n’entends pas vos plaintes. Je suis d’accord que ce parti pris de la violence n’est que brièvement remis en question par les femmes du mouvement, mais je pense que la plus grosse partie de ce débat a dû avoir lieu dans les années antérieures au film. En 1912, le mouvement des Suffragettes avait déjà commencé depuis quelques décennies.
Je ne sais pas vous, mais moi le seul vrai souvenir de suffragette que j’ai de mon enfance ce n’est pas celui d’un cours d’Histoire qui les évoque, c’est la mère des gosses dans Mary Poppins (en fait je ne peux m'empêcher d'ajouter celui-ci hahaha! Relax, c'est de l'humour!). Sauf qu’elle, elle avait la vie douce, elle n’a pas l’air de faire honte à son mari, elle n’est pas battue lors de manifestations pacifiques, ni gavée de force lors de grèves de la faim en prison, ou encore foutue à la rue. Alors oui, c’est un mélo, oui c’est violent, et oui il était temps qu’on en parle de cette lutte fondatrice des droits de la femme. Surtout quand on voit, lors du générique, après un final qui prend aux tripes, certaines dates dans la liste des pays du monde où le droit de vote a été accordé aux femmes. France : 1944, Suisse : 1971 et Arabie Saoudite : no comment.
Une dernière chose, les mecs, ce n’est pas parce qu’on est féministe qu’on vous aime pas, alors abaissez vos pics et boucliers. Et je vous remercie d’avance de ne pas me traiter d’hystérique après avoir lu cette critique, il y en a déjà bien assez qui ont utilisé ce mot dans la leur. Tous ceux là je les salue comme il se doit , tous les autres je les embrasse. xx
[EDIT]: le premier vote féminin en Arabie Saoudite vient d'avoir lieu! Houra!
Le saviez-vous du jour: Helena Bonham Carter, second rôle dans le film, est l'arrière petite-fille d'Herbert Henry Asquith, qui fut premier ministre entre 1908 et 1916 et la bête noire des Suffragettes. Si pépé savait...