Dans le roman original de Stephen King, le symbolisme propre à l'adolescence reste omniprésent. Une fidèle adaptation cinématographique serait donc inapplicable sauf, bien sûr, si le metteur en scène use d’ébouriffantes expérimentations, d'ingéniosité et de créativité. Brian De palma faisant partie des jeunes réalisateurs bousculant les règles du 7e Art au milieu des années 1970 ne pouvait donc qu'être la bonne personne pour mener à bien ce projet baigné de fanatisme religieux, de fantastique et des difficultés propres à l'adolescence, immaturité incluse.
L'histoire est connue. Brian De Palma découvre le premier roman de Stephen King en 1974 et en tombe follement amoureux. United Artists en acquiert les droits, confie l'adaptation scénaristique à Lawrence D. Cohen et De Palma va devoir batailler durant de longs mois pour obtenir un budget d'un peu moins de 2 millions $ afin de réaliser le film qu'il imagine. Face aux fours commerciaux de ses précédentes œuvres (Sœurs De Sang,Phantom Of The Paradise ou encore Obsession), l'homme n'est pas vraiment bankable aux yeux des studios et doit faire preuve d'esprit, mais également d'habileté, pour décider les financiers à lui faire confiance. Obtenant finalement gain de cause, le cinéaste aura eu tout le temps qu'il lui fallait pour préparer son film plan par plan, éliminant tous les flash-back du roman ainsi que la destruction de la ville par les pouvoirs télékinétiques de Carrie pour des raisons budgétaires.
Épaulé par un casting de jeunes et talentueux inconnus (dont Amy Irving, la petite amie de l'époque de Steven Spielberg), Carrie emporte l'adhésion des spectateurs dès son intro' lors d'un match de volley féminin où la protagoniste se voit humiliée par ses camarades de classe avant d'être littéralement accablée par les mêmes sous les douches du gymnase lors de la découverte de son premier (et tardif) cycle menstruel.
Carrietta White, dite Carrie, est une adolescente de 16 ans introvertie et sans amis, élevée par une mère extrêmement pieuse qui la maltraite quotidiennement. Bouc émissaire des élèves de son lycée, elle reste néanmoins sous la bienveillance de sa prof' de sport, miss Collins, qui punit toutes les camarades de classe de Carrie pour les outrages qu'elles lui font subir. Afin de se venger, l'une d'entre elles monte un plan machiavélique afin d'offenser une nouvelle fois Carrie lors du bal de fin d'année. Mais secrètement dotée de pouvoirs télékinétiques, l'adolescente va déclencher un furieux massacre au sein du lycée...
Pertinent teen movie dépeint sous une forme horrifique, Carrie reste, techniquement, un film semi-expérimental fomenté de divers contrastes où split-screen, lentilles d'approche et ralenti offrent indéniablement un cachet purement "depalmien" au métrage. Fidèle à la trame du roman, le cinéaste s'approprie ainsi le projet en délaissant enfin ses influences hitchcockiennes (seul le nom du lycée, Bates High School, rend hommage au maître du suspens) pour affirmer sa personnalité et démontrer sa maestria technique sans parasitage honorifique.
Le casting est également à l'avenant. Tout d'abord avec la géniale Sissy Spacek dans le rôle-titre, mariée à Jack Fisk (décorateur attitré de De Palma) et faisant oublier l'adolescente boulotte et disgracieuse du roman de King. Amy Irving incarnant l'ambigüe Sue Snell et embarquant sa propre mère, Priscilla Pointer (100 ans cette année) pour jouer le rôle de... sa maman. Puis les incontournables John Travolta (jeune abruti à la gifle facile) et Nancy Allen (dont De Palma tomba raide dingue amoureux durant le tournage avant de l'épouser) faisant parfaitement corps avec le personnage de Chris Hargenson, petite peste insolente que l'on découvre être une psychopathe avide de violence et de mort. Et last but not least, la toujours excellente Piper Laurie dans le rôle grotesque de Margaret White, mère de Carrie, traumatisée par un viol et s'engouffrant dans la bigoterie la plus frappadingue qui soit. Ce petit monde, réuni sous la houlette de De Palma, deviendra immédiatement célèbre lors de la sortie du long-métrage qui fut un succès commercial planétaire et mérité en 1976.
Souvent copiée mais jamais égalée, cette adaptation reste encore la plus aboutie bien qu'elle soit inévitablement ancrée dans les années 1970. Kitsch à bien des égards (à l'instar du roman), souvent grotesque et effroyablement cruel, Carrie aborde le thème du harcèlement scolaire avec intelligence, mais aussi le thème des affres de l’adolescence et de son implacable immaturité, cycliquement symbolisées ici par le sang. Tout simplement culte.