[Director's cut]
"Vanité des vanités, tout est vanité", professait Qohelet dans l'Ecclésiaste il y a plusieurs millénaires. Il était alors la définition de ce qui était purement vain, futile et illusoire. Aujourd'hui, il renvoie à une notion d'orgueil et d'auto-satisfaction.
Deux sens qui diffèrent sur le papier, mais se répondent avec une doucereuse harmonie chez Ridley Scott. Prétextant suivre la descente aux enfers d'un avocat dans la distribution de stupéfiants, le réalisateur a un but autrement plus ambitieux : capturer les tréfonds de l'âme humaine. Filmer un monde qui court à sa perte, en ne cherchant jamais à le rattraper. Armé d'un script signé Cormac McCarthy (auteur de No Country for Old Men ou La Route) et d'une volonté de trancher net, The Counselor (titre autrement plus adapté que Cartel) fait preuve d'un nihilisme inédit de la part de Ridley Scott.
Il est en effet peu commun de voir un film prenant autant de distance par rapport à ses personnages, pour la plupart peu recommandables, et aussi peu de précaution quand il s'agit de les entrechoquer avec leur destinée. Ne vous y trompez pas: Ridley Scott ne propose pas l'errance de dépravés dans un monde d'excès et de se complaire dans le chic toc. Ici, ce qui motive le réalisateur, c'est de révéler l'infinie petitesse chez ces individus qui se sont rêvés grands et se retrouvent écrasés par leur propre décadence. Scott filme ici des vaniteux, des faibles et des pervers. Des individus qui se voilent la face, font mine d'accepter leur férocité en admettant leur cupidité ou en vivant avec des félidés (un guépard en l'occurrence), et se retrouvent abasourdis par le massacre qu'ils provoquent.
La première heure opaque, où le clinquant le dispute à la saleté, où les trafiquants dissertent sur le sexe et la violence, est aussi bien écrite que troublante. Derrière de longues séquences dialoguées, allant du vulgaire au raffiné, apparait la volonté de relier deux mondes en apparence distincts et qui sont pourtant bien indissociables. Leur collision est aussi logique que dévastatrice. Alors que la première partie disséminait une impression de drame à venir, on assiste carrément à une apocalypse dans la deuxième.
Soyez prévenus: rares sont les films à se montrer aussi cruels envers leurs protagonistes. Même quand le bon sens et les sentiments se révèlent en eux - en général bien trop tard - ils deviennent aussi pathétiques qu'insignifiants. D'une décision hâtive, uniquement dirigée par l'avidité, ils lancent une chaîne, dont les maillons sont aussi fragiles qu'interchangeables, menaçant à tout moment de la retourner contre eux. Et c'est pourtant avec un aplomb certain que R.Scott filme ces créatures pitoyables, magnifiées par une troupe d'interprètes prodigieux (M. Fassbender, Javier Bardem, Penelope Cruz et Cameron Diaz et Brad Pitt), et vouées à l'un des carnages les plus hypnotiques de récente mémoire. Un carnage sans nom (à l'instar de son anti-héros, ou héros négatif au choix) et sans retour. Son film le plus noir et le plus étincelant.