La collaboration laisse rêveur, d'un côté Ridley Scott, réalisateur fascinant, véritable peintre cinéaste touche à tout, créateur de mondes iconiques et tiraillé depuis toujours entre cinéma d'art et de business, de l'autre Cormac McCarthy, écrivain de génie (No Country For Old Men, Blood Meridian ou encore The Road) à la patte immédiatement reconnaissable et brodant ses récits autour de thématiques pour le moins pessimistes, et donc auteur de son premier scénario avec The Counselor. La distribution est tout aussi honteuse, Michael Fassbender, Javier Bardem, Brad Pitt, Cameron Diaz et Penelope Cruz en tête d'affiche, rien que ça. Difficile de passer à côté de ce long métrage qui nous promet un grand spectacle avec tout ce qui se fait de plus clinquant à Hollywood.


Ceci était sous-estimer les intentions de McCarthy dont la noirceur habituelle ne déroge pas à la règle dans The Counselor, sa sombre vision du monde, très certainement proche de notre réalité, épouse à merveille les penchants destructeurs et violents que Ridley Scott parsème dans la majorité de ses œuvres. Exit le divertissement conventionnel se dégageant des bandes annonces, place au film noir, moderne, au propos nihiliste, à l'ambiance malsaine, aux personnages torturés et tortueux. Des personnages peu aimables, dont l'identification est difficile, et tranchant d'autant plus avec le choix des interprètes, le contraste est saisissant. Le film de Ridley Scott prend un virage assez inattendu et va se jouer des codes du cinéma contemporain en les détournant un par un. L’histoire est pourtant simple à première vue, un avocat que l’on nomme Counselor (Fassbender) s’apprête à se lancer dans un trafic de drogue dans le but de récupérer une énorme somme d’argent et goûter à une vie encore plus luxueuse qu’elle ne l’est déjà en compagne de sa bien aimé Laura (Cruz). Pour arriver à ses fins, il demande conseil et implique Reiner (Bardem) dans le deal. Mais un imprévu va mettre en péril le cartel et les répercussions seront désastreuses…


Celui qui nous avait habitué à verser dans le spectaculaire et le bigger than life (Gladiator, Kingdom Of Heaven, Prometheus, La Chute du Faucon Noir...) depuis des années se réinvente le temps d'un film pour nous livrer ce que je présume être son Blade Runner du présent. Pas de science-fiction ou d'androïdes, juste des hommes et des femmes dénués de toutes valeurs de moralité, se plaçant certainement au-dessus des règles et dont l'appât du gain est l'unique motivation, l'unique but et seul moteur d'un monde en perte de vitesse. Finalement l’intrigue du deal n’est qu’un prétexte pour mettre en scène une tragédie moderne et délivrer un message fort sur le merdier que représente notre monde malade dont l’ignorance commune ne suffit plus à cacher son existence. L’humanité souffre, et tôt ou tard, on ne pourra échapper aux conséquences.


Et pour aller au bout de ses idées, McCarthy a eu l’intelligence de choisir le milieu des cartels pour évoquer la longue, pénible et douce mort de notre monde et de ses nombreuses victimes collatérales, la faute à une caste d’individus ayant besoin de toujours plus alors qu’ils ont déjà tout. Et c’est dans ce malaise ambiant que les personnages du long métrage vont être soumis à un terrible retour de bâton, trop sur d’eux même pour envisager leur chute et tombant sur un adversaire encore plus redoutable et véritablement fascinant. Scott symbolise Malkina (C.Diaz) comme la prédatrice ultime, ayant le besoin vitale de chasser ses proies, elle apparaît comme un personnage sans conscience, évoquant l’Alien mais dont les traits humains séduisants rendent le personnage encore plus terrifiant. Ce qui l’a différencie des autres personnages est qu’elle accepte totalement ce monde et ne se montre jamais vulnérable. Wrestray (Pitt) dont sa faiblesse lui jouera des tours et Reiner ne pouvant se défaire de son emprise sont pris au piège, alors que l’avocat se trouve très vite dépassé par des événements qu’il ne comprend pas.


Le film a beau sortir des sentiers battus dans sa construction narrative, en omettant volontairement des informations pour s’intéresser exclusivement aux personnages et à leur relation, The Counselor est loin d’être le film incompréhensible que vend sa mauvaise réputation. Son montage est formidable, un choc brutal au premier visionnage et son venin est d’autant plus fort à la revoyure. Une fois bien digéré, le récit se veut d’une fluidité épatante autant sur le fond que la forme. Les merveilleux dialogues de McCarthy y sont pour beaucoup, peut-être trop littéraire par moment, les monologues fascinent néanmoins. Pas un mot ne semble être sorti au hasard, tout tombe sur le sens. Et l’écrivain ne s’est pas trompé en faisant de Ridley Scott son favori pour mettre en scène un script d’une puissance sans équivoque et non soumise au cahier des charges habituelles des studios.


Faisant l’impasse sur ses célèbres storyboard, Scott fait preuve d’une spontanéité étonnante dans la mise en scène, la maîtrise est totale. Sublimée par la photographie de Wolski, l’incroyable composition de Pemberton et les costumes luxuriants de Janty Yates, Ridley Scott transcende les idées narratives de McCarthy avec une réalisation élégante, sobre et clinquante à la fois. Et l’association de deux génies dans leur genre respectif et aux idées communes accouche d’une œuvre complexe, unique, trouvant son rythme en cours de route, tension crescendo, surprend par ses touches d’humours et ses éclats de violences particulièrement brutales. Et c’est peut-être ce qu’il y a de plus frustrant et dérangeant dans le film, il y a peu d’action ou de violence, la mise à mort se met doucement en place, l’espoir s’amenuise avec le temps et l’étau se resserre pour les personnages dont l’issue apparaît comme incertaine. Quand la mort frappe cependant, elle le fait radicalement et de manière virtuose, en témoigne la scène finale à Londres, incroyable. Une sortie en apothéose évoquant les dessins les plus ténébreux de Scott. En parlant de fin, celle-ci est soignée, en adéquation avec ce que le film raconte, aucun rebondissement incongru, aucune bouée de sauvetage, le dosage parfait et des personnages qui ressortent grandis ou meurtris.


Le genre de film que l’on aimerai voir plus souvent atterrir sur nos écrans, non souillé par le formatage, loin des standards habituels, dirigé de main de maître et magnifiquement écrit. Avec The Counselor, Ridley Scott ajuste son dosage et renoue avec le cinéma d’art qui le caractérisait au début de sa riche carrière.

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le 22 nov. 2015

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