Casablanca constitue l’avant-dernière étape sur le long parcours des réfugiés de guerre européens qui cherchent à rejoindre l’Amérique pour échapper à la barbarie du nazisme. Après un long périple, qui les a entraînés de Paris à Marseille, de Marseille à Oran, et enfin à Casablanca, se retrouve dans cette jungle interlope et cosmopolite une foultitude de personnages bigarrés, qui n’attendent que de décrocher le précieux sésame qui leur permettra de rejoindre Lisbonne, et, de là, de s’embarquer pour l’Amérique.


Dans ce microcosme multiculturel, mélancolique et perpétuellement en mouvement, l’on aime à boire un verre chez Rick, le café le plus huppé de la place. Rick, c’est lui, un américain bourru et renfermé, qui connait tout le monde et a réussi à survivre dans cet univers impitoyable en appliquant une règle très simple : conserver la neutralité la plus parfaite.


Seulement voilà : le meurtre de deux coursiers allemands qui transportaient des lettres de transit signées par le général De Gaulle lui-même attire à Casablanca un major de la Gestapo, chargé d’arrêter le célèbre Victor Laszlo, figure de la résistance européenne à l’envahisseur germanique. Alors que l’étau se resserre et que toutes ces figures convergent vers le café de Rick, la tranquillité de la nuit marocaine touche à sa fin…


Le film de Curtiz, devenu mythique, considéré comme l’un des plus grands films de l’histoire du cinéma par de nombreux magazines, critiques et observateurs, frappe tout d’abord par l’esthétique extrêmement soignée et l’ambiance parfaite qu’il propose. La photographie est sublime : un noir et blanc tout en contraste avec des jeux d’ombres extraordinaires (certaines furent directement peintes sur le plateau), qui servent une atmosphère nocturne propice à la mélancolie.


Car la grande force du film, c’est l’ambiance unique de ce troquet au milieu de Casablanca, où se côtoient les âmes perdues et les réfugiés meurtris, chanteuses de charme et musiciens, policiers véreux et diverses canailles. Pour certains, ce n’est qu’une étape. Pour d’autres, c’est la fin de la route. La guerre est au centre des préoccupations ; elle marque durablement les esprits et c’est elle qui a réuni cette foule hétéroclite dans ce lieu. Tout ce petit monde gravite autour d’un personnage : Rick Blaine, sorte de berger au cœur brisé, mais qui dissimule sous sa carapace et son visage fermé une vraie grandeur d’âme. Chaperon des uns, il protège les faibles, soutient ses fidèles et veille à la bonne marche de Casablanca. On retrouve Bogart, sa classe, sa clope et sa voix cassée dans son rôle iconique et son personnage habituel.


Toute la clique qui lui tourne autour compose autant de chouettes personnages, de nationalités et de cultures diverses. Du pianiste noir parisien à la jolie bulgare sans le sou, en passant par le capitaine de police (excellent Claude Rains) et le barman soviétique. C’est un creuset de caractères variés qui donne tout son charme au récit.


Alors que l’on commence à se perdre dans les méandres de la belle Casablanca, que l’atmosphère aussi étouffante que chaleureuse de ce café du bout du monde nous séduit, l’on se prend à imaginer que tout va rester merveilleux, jusqu’à ce que débarque le souci majeur du film. Un visage curieusement bovin, un regard vide et bien trop souvent embué de larmes, une bouche assez large et un profil disgracieux, Ingrid Bergman est dans la place. Alors pleurer, elle sait très bien le faire, et toute sa filmographie est là pour le prouver, mais lorsqu’il s’agit de nous faire croire à une romance avec le bon Humphrey, le bât blesse et l’immersion est brisée tant leur alchimie est inexistante. De penser que la superbe Hedy Lamarr a refusé le rôle en est d’autant plus navrant.


Avec « Casablanca », Michael Curtiz signe un film qui sera aussitôt consacré, et qui occupera une place durable – voire immortelle – dans l’histoire du cinéma. Nombreuses seront les répliques du film à figurer parmi les classements des phrases les plus mémorables du septième art, et l’héritage du métrage sera encore présent des années plus tard (notamment chez Woody Allen, qui réalise en 1972 « Play It Again, Sam », où son personnage converse avec Bogart). Et puis, lorsque retentit la Marseillaise dans l’arrière salle de Rick’s, en ces temps sombres où l’on célèbre le bicentenaire d’une terrible défaite (face à ces salauds de rosbifs en plus…), l’on aurait presque la larme à l'œil, comme ces personnages dont l'émotion était réelle (nombre d'entre eux avaient effectivement fui l'occupation allemande, et/ou les nazis).

Aramis
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le 19 juin 2015

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