Critique rédigée en mars 2020
Directeur de casino par alliance, Sam Rothstein aka Ace (Robert DeNiro) mène une vie de luxe en haut de l'échelle sociale, respecté de tous aux côtés de son ami d'enfance Nicky Santoro (Joe Pesci). Cette vie de pacha se retrouve bouleversée par l'idylle inattendue entre Sam et la ravissante prostituée Ginger McKenna (Sharon Stone). Si celle-ci comble dans un premier temps son bonheur, il assistera à la corruption de Nicky, s'engageant sur un chemin de criminel qui va nuire le succès du casino, et Ginger va se révéler machiavélique, manipulatrice et meilleure actrice qu'on pourrait le croire dès qu'il s'agit de faire tourner les choses à son avantage. Ce n'est que le début de la chute sociale d'un milieu fort convoité...
Quintessence du cinéma de Martin Scorsese, Casino est à la fois une fresque palpitante sur la décadence d'une certaine idée d'empire, à savoir le Las Vegas mafieux des années 1960, et une tragédie aux puisements shakespeariens basé sur la tournure de la vie de trois personnages : deux mafieux, amis d’enfance, et une femme qui circule entre eux deux.
Une des caractéristiques rendant le film de mafieux Scorsesien unique en son genre est sa structure narrative mêlant étroitement plusieurs fils narratifs. Si Les Affranchis (1990) s'intéressait à l'ascension d'un homme ardent (Ray Liotta) en contact avec le milieu mafieux dès son plus jeune âge, Casino va se concentrer davantage sur la déchéance de ses deux congénères en réinvestissant le rôle des mafieux expérimentés. En l'occurrence, DeNiro et Pesci réhaussent leurs personnages archétypes en les agrémentant d'un sentiment de précarité vis à vis de leur situation sociale - constant dès lors que le mécanisme sentimental est lancé.
Tout en employant de façon très littérale les figures de style classiques du mode d'expression cinématographique symbolisant furtivement la puissance du binôme, le vocabulaire de Scorsese nous dicte la dissolution du parcours des deux personnages nous amènent à travers plusieurs indices.
Il est très clairement explicité qu'Ace est un homme étouffé par son propre perfectionnisme, son don de maîtrise de soi. En effet, c'est par son don d'observateur lointain des faiblesses de la race humaine qu'il tombera dans le traquenardesque contact sentimental avec Ginger.
La titanesque explosion de l'auto ouvrant le film, se déploie de nouveau dans le final, annonçant ainsi dès le début que le petit manège des protagonistes sera anéantie d'un l'instant l'autre.
Le montage très serré (riche en plans très court, gros plans et virtuoses travellings circulaires notamment dans son incipit) prend le temps en 170 minutes d'exposer de multiples enjeux scénaristiques tous au sein d'un même fil conducteur, rythmés par le son des jeux constituant la monnaie de ce royaume. Il se montre très symbolique dans la mesure où Ace Rothstein, homme perspicace et assoiffé de pouvoir, possède littéralement toutes les cartes en main pour mener à bien son univers, jusqu'au moment où il assistera au chamboulement de celui-ci par le pointement de Ginger dans sa vie. De façon plus interprétative, le casino structure en quelque sorte les sentiments du joueur (reflétés par les cartes, les jetons et les billets) en argent pour les propriétaires, et cette analogie hélas assez représentative est confirmée par une impression de vertige divulguée au cours des scènes de casino.
Entre un incipit et un excipit riches en rutilants effets d'interprétations et en dialogues savoureux, se décèle une partie partie centrale hélas plombée par nombre de temps morts, le niveau d'adrénaline descendant en flèche pour se concentrer sur les affaires d'Ace. La voix off parfois grandiloquente, on retrouve aussi les effets quelque peu complaisants de Scorsese avec les éclairs de violence et la cruenté des dialogues.
Il semble surprenant qu'un réalisateur comme Scorsese plonge de façon aussi assumée dans les clichés les mieux rabâchés dans les mélodrames. Tout compte fait, une romance de Las Vegas commence nécessairement de façon vulgaire et clinquante, étant la ville allégorique de l'argent, du spectacle et du jeu. Effectivement, l'alliance d'un mafieux à une prostituée au coeur de la machine Las Vegas s'effectue par un jeu avec les conventions du spectacle de l'époque, mettant en rapport spectacle et amour.
De Niro et Pesci livrent une nouvelle fois une prestation homogène, digne de leur parure et adéquate à l'ensemble de leur carrière, et deux de leurs meilleurs rôles. Outre leur image de gangsters dérangés, le film s'autorise une remise en question de leur personnage en incluant Sharon Stone s'immisçant dans leurs faits et gestes telle Lady Macbeth. La bande originale, composée à deux cent pour cent de titres préexistants (Georges Delerue, Buddy Guy, The Rolling Stones en tête d'affiche) souligne de surcroît les qualités que l'alliance de l'image aux dialogues nous fait prêter à Ace Rothstein, par De Niro, dramatique et puissant reflet de cette époque.
Casino, c'est le portrait grave de deux personnages et d’une relation amoureuse peu scrupuleuse, à l'ère de l'expatriation mafieuse des horizons américains. C’est aussi le portrait classique d'un système politico-économique dans son ensemble, la société étant peinte dans son ensemble comme étant bien plus importante et dangereuse que le monde politique. Par le biais d'un caractère métonymique de toute fiction filmique, le Las Vegas peint par le cinéaste délivre à sa façon certains aspects des sociétés néo-libérales dans lesquelles nous vivons.
Nous personnages, sommes-nous suffisamment corrompus, couillus, au point de détourner les codes du langage cinématographique ? (référence aux arrêts sur image exaltés par la narration de De Niro à deux reprises)
(merci à l'analyse de Antoine Gaudin qui a - en grande partie - inspiré mon débriething)