Cassandre
6.8
Cassandre

Film de Hélène Merlin (2025)

Cassandre: L'abus de destin généalogique et la famille-ravage

Dans Cassandre, Hélène Merlin ne raconte pas une énième histoire d’inceste, elle propose un récit très personnel, dur et dérangeant d’une famille impossible, dévastatrice, claustrophobique et toxique, avec un couple de père-mère féroces interprétés par des acteurs impressionnants (Eric Ruf et Zabou Breitman).


Un film dru et cru

Porté par des acteurs tous exceptionnels (Zabou Breitman, Éric Ruf, Billie Blain, Guillaume Gouix), osant pour Ruf et Breitman la radicalité dans le ridicule et l’insupportable, risquant ce jusqu’au-boutisme de figures maternelle et paternelle étouffantes, Cassandre est un film dru, qui a du caractère et du cran.


Dommage pourtant que la réalisatrice ne fasse pas entièrement confiance à la densité de leur jeu, à leur puissance, à cette ligne perturbante, hystérique, très improbable et formidable où Zabou Breitman et Éric Ruf naviguent. Juste ce parti pris eût été suffisant.


Hélène Merlin rajoute en scansion de son histoire des scènes oniriques (avec une marionnette, signe trop avéré du statut de victime de la jeune héroïne) d’une autre valeur qui affaiblissent le piquant et la tonalité cinglante des scènes inquiétantes et vivaces par ailleurs. Ce qui aurait pu s’exacerber et jaillir dans un réalisme haut de gamme (à la Festen de Thomas Vinterberg) tombe parfois dans un néo-poétique maladroit et inutile.

Un film virulent questionnant le système des perversions-failles familiales

Ces réserves faites, Cassandre est un film fort, atypique. Imprévisible, tendu, revêche aux dialogues acérés. Un film qui contient en lui le monstre bête de la famille comme lieu d’anormalité, de la famille comme faille absolue dont il faut pouvoir se sauver pour « dégeler la vie », ici celle de cette jeune fille de 14 ans qui nous narre l’inceste de son frère.

Des acteurs génialement bêtes : Une mère et un père incestuels

Zabou Breitman incarne par excellence l’archétype de la mère incestuelle. L’incestuel est un terme du psychiatre-psychanalyste Paul-Claude Racamier qui le définit comme une « relation extrêmement étroite, indissoluble entre deux personnes que pourraient unir un inceste et qui cependant ne l’accomplissent pas, mais s’en donnent l’équivalent sous une forme apparemment banale et bénigne ».


La mère qui ne sait pas établir de limites claires avec son fils, épile Cassandre au beau milieu du salon, raconte à tout bout de champ des anecdotes sans gêne et obscènes de sa propre histoire familiale, cette mère extravagante et envahissante est épidermiquement incestuelle (et le spectateur la ressent comme telle surtout dans une scène-climax après que Cassandre a tenté de parler et révéler l’inceste de son frère). La mère tue sa fille de ses mots, la fait taire, la prive de son droit à être femme, autonome et libre.


Le père ancien militaire colonel sur la touche (incarné par un Éric Ruf osant une sobriété et une droiture dans l’exagération d’une position rigide très émouvante) est tout aussi limite, arc-bouté sur des valeurs patriarcales et égotistes, ne prenant jamais vraiment en compte la souffrance de son fils ni la parole de sa fille.


Toutes les scènes avec eux sont remarquables : non seulement ces acteurs sont sidérants dans ce qu’ils osent faire mais aussi toutes ces scènes font qu’il y a du CINÉMA, une représentation du monde à part, dérangée et drôle aussi par endroits.


Il faut voir ces deux bêtes de scène que sont Zabou Breitman et Éric Ruf, l’une dans un registre survolté, presque incommodant tellement ce qu’elle arrive à faire et dire heurte et provoque. Citons le dialogue où après la révélation par sa fille de l’inceste commis par son frère, elle se braque, l’insulte presque, vrillant dangereusement et répétant la mécanique du meurtre psychique avec une tirade crue : « Ce que t’as fait c’est du touche-pipi. Moi aussi dans mon enfance mes frères m’ont mis un doigt puis des doigts dans la chatte, et bien faut serrer les fesses ma fille c’est tout, c’est comme ça ! »


Il faut voir la famille se rassembler le soir à 19h tapante autour d’Éric Ruf et attendre que ce père militaire déchu rompe le pain, il faut voir ces détails pour comprendre la qualité de la mise en scène et l’invention barrée que propose Ruf de son personnage.

« Tu n’es pas condamné à ton enfance »

Reste l’autre éducation et histoire de vie possible, celle du centre équestre où Cassandre va prendre des cours. Là se dessille un autre pays possible que celui des fardeaux généalogiques à subir, une région plus libre, intrépide et douce comme ces chevaux rescapés de la corrida que Cassandre apprend à monter.


Cette autofiction douloureuse, dissidente et prenante est magnifiée par Billie Blain (Cassandre) et par une écriture de personnages et direction d’acteurs exceptionnelle. Bravo.


Pour les spectateurs-lecteurs : lire en miroir le livre de Sandrine Rinkel La Faille, chez Stock.

Pour lire plus, c'est par ici https://www.lemagducine.fr/carte-blanche/cassandre-film-helene-merlin-10075316/

VioletteVillard1
8

Créée

le 3 avr. 2025

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