Le Septième Art à la moulinette
John Waters dénonce le système cinématographique américain aux travers d'une bande de jeunes hystériques croyant pouvoir refaire le monde. Explosif.
On le savait déjà, John Waters est un trublion. On lui doit quand même le seul film en odorama de l'histoire du cinéma. Aujourd'hui il s'attaque à Hollywood en nous relatant un tournage hors du commun.
Honey Whitlock (Melanie Griffith), star hollywoodienne par excellence vient présenter son nouveau hit à Baltimore. Pendant la cérémonie, elle est enlevée par une bande de rebelles clamant haut et fort qu'ils sont le futur du cinéma. Dans leur antre, Honey fait la connaissance de ses ravisseurs. Ils sont menés par Cecil B. Demented (Stephen Dorff) qui a l'intention de réaliser un film à petit budget avec la célèbre Honey Whitlock. Après quelques répétitions sommaires, le tournage débute dans un complexe cinématographique où les protagonistes sèment la pagaille. Très vite, l'affaire prend des proportions énormes et Cecil devient l'ennemi public n°1. Et, plus son film prend forme, plus Honey s'y implique, pensant trouver là LE rôle de sa vie.
Dès le générique où l'on découvre qu'il existe une version anglaise des «Enfants du Paradis» ou une version longue de «Docteur Patch», John Waters nous invite à une réflexion sur le cinéma par le biais d'un film totalement déjanté. Au début, il s'en prend ouvertement au système en montrant une star à l'ego démesuré face à une bande de jeunes désargentés rêvant de réaliser le film ultime. Mais très vite, Waters ne prend plus du tout parti en se moquant aussi bien des strass hollywoodiens que de la dèche de l'équipe de Cecil. On ne peut en effet pas du tout d'identifier ou avoir de la sympathie pour ces faux rebelles. Dans une scène à la fois drôle et tragique, on découvre que tous les membres de l'équipe se sont tatoué sur le corps le nom d'un réalisateur en marge, comme David Lynch, Samuel Fueller, Pedro Almodovar, Spike Lee, etc. Dès lors, ils deviennent pathétiques, car ils sont obligés de se faire leur cinéma pour vivre. Et Waters illustre cet état d'esprit en les montrant tout le temps en représentation, en cérémonie rappelant tantôt une messe noire, tantôt une rave party. En fait, ces pseudo cinéastes ne peuvent vivre qu'en groupe. Ils sont dépendants les uns des autres et donc totalement coupés du monde extérieur. Pour accentuer encore cet aspect de secte, Cecil impose à son équipe un vœux de chasteté tant que leur film ne sera pas terminé.
En oscillant sans cesse entre ces deux manières de faire du cinéma, John Waters prouve par A + B que les extrêmes sont nocifs même en ce qui concerne l'art. Et il le fait avec un humour propre à lui et en déployant une cinéphilie très étendue allant des classiques français des années 30 à des pures inventions de sa part comme «Forrest Gump 2». Il s'amuse à parcourir toute la gamme du Septième Art dévoilant toute ses richesses, car le cinéma, c'est aussi bien une sortie entre amis qu'un objet d'étude pour intellectuels ou encore qu'une cérémonie religieuse. «Cecil B. Demented» est une œuvre salutaire car elle redonne au cinéma son entier et non ses détails.
Qui d'autre que Melanie Griffith pouvait représenter Hollywood? Elle est absolument parfaite dans son rôle de divas des plateaux, exigeant de son attaché de presse qu'elle se renseigne si Nancy Reagan à fait l'amour dans sa chambre d'hôtel pour lui rétorquer, une fois la réponse obtenue, qu'elle plaisantait. Elle est tellement insupportable que son enlèvement et son mauvais traitement nous soulagent. Mais, au contact de ses ravisseurs, elle change et nous apparaît de plus en plus sympathique. Contrairement à Cecil, Honey sait s'intégrer en s'intéressant à autre chose que sa personne. C'est finalement Cecil le plus égocentrique des deux et Stephen Dorff lui prête toute sa démesure. Il joue les tyrans avec un naturel confondant tout en composant un personnage tragi-comique pathétique.
«Cecil B. Demented» est un régal, un festin jouissif à ne pas manquer pour tous ceux qui aime le cinéma dans son sens le plus large.