Celle que vous croyez parvient trouve sa force dans sa capacité à dépasser les dangers de son scénario (une tendance à penser les réseaux sociaux comme un fléau, comme l'expression absolue de la solitude, un regard presque réac' sur la jeunesse, un peu tout ce qu'avait fait Cédric Klapisch dans Deux Moi la même année) et même ses propres défauts (l'intrigue plus convenue avec va-et-vients dans la relation avec la psychiatre soudain surinvestie, interprétée par Nicole Garcia, quelques baisses de rythme, une mise en scène classique).
Le film tire même son épingle du jeu en allant tranquillement flirter du côté de François Ozon ; image glacée qui cache une réelle perversité, portrait de femme, ambiance érotique, manipulations du récit, réécriture permanente du vrai, ... On pense même à Emmanuel Carrère dans la tentative de possession du présent, d'écriture et de contrôle de l'avenir, comme pour mieux l'anticiper et s'en faire l'auteur illusoire, l'occasion d'une intrigue qui multiplie les récits dans le récit, trouble la frontière entre fiction et réalité, confond souvent les deux pour décortiquer l'ambivalence de la vérité.
La mise en scène rappelle, encore, forcément Her, devenu film référence dans la captation clinique mais douce de la solitude de notre époque et dans la mise en image de la virtualité, notamment dans l'importance faite aux sonorités électroniques (qui, sonneries quotidiennement présentes dans nos vies, prennent une dimension toute autre car amplifiées et devenues éléments d'intrigue), et surtout celle faite aux voix, faisant de Celle que vous croyez (habile titre trompeur) un film parlé, chuchoté, intime, froid autant que chaleureux.
On saluera le fait que Safy Nebbou ne tombe pas (toujours) dans la facilité et s'en tienne heureusement aux choix radicaux qu'un tel sujet impose, ne faisant se rencontrer ses personnages que tard dans le récit (et encore, d'une manière qu'on n'attendait pas), leur préférant leurs voix et leur relation à distance.
Accompagnée par la jolie partition d'Ibrahim Maalouf, on découvre alors avec enchantement l'alchimie étonnante entre François Civil et Juliette Binoche, assez excellente dans ce rôle taillé sur mesure pour elle.