Le sommeil d'or
Cemetery of Splendour s’inscrit dans la prolongation de l’œuvre de Weerasethakul. Continuité thématique, on y parle encore de maladie, d’hôpitaux, de croyances religieuses, de confrontation...
Par
le 31 mai 2015
46 j'aime
15
En pleine Thaïlande rurale, une large pelleteuse agite son bras articulé, monstrueux comme les ravisseuses d'une mante religieuse, à la recherche d'un trésor quelconque, dissimulé dans le terrain meuble d'une école élémentaire. A mesure que la terre se retourne, le paysage se transforme, et rien n'est exactement ce qu'il semble être : l'école elle-même n'en est plus tout à fait une, transformée à la hâte en hôpital pour contenir l'envahissante épidémie tropicale qui touche cette région reculée du monde. C'est ici, sur les abords du Mékong, que les soldats mystérieusement tombés de sommeil au combat viennent rêver, soignés de leurs incessants cauchemars par une envoûtante luminothérapie arc-en-ciel et par la patience affectueuse de leurs proches.
Avec un argument pareil, Cemetery of Splendour, nouvelle prière du thaïlandais Apitchapong Weerasetakhul, ne manque pas d'étonner au cœur d'une saison audiovisuelle décidément très académique. Il serait cependant malhonnête de qualifier cette rêverie insaisissable d'inédite, en ce que les titres des opus précédents d'Apitchapong Weerasetakhul, de Tropical Malady à Syndromes and a Century, suffisent à tisser des liens visibles entre présent et passé. Cemetery of Splendour s'aborde donc comme une toile de maître, de celles dont on sait, d'expérience ou par écho, comment les regarder et même quoi en penser, et dont l'appropriation relève autant de l'exploration candide que de la lutte contre les préjugés critiques. "Lutte de l'homme contre la nature", "lutte de l'homme contre l'homme", "brûlot politique", "errance mystique" : les qualificatifs attribués à Cemetery of Splendour sont nombreux, mais éclairent rarement le spectateur, pris à la gorge par tant de sophistication théorique.
Parce que loin des détours éthérés que beaucoup voudraient lui prêter, Cemetery of Splendour est bien plus souvent sec et trivial que chaleureux : ses longs plans fixes ont beau atteindre, à certaines occasions, une densité telle qu'ils semblent entrer en mouvement, ils n'en restent pas moins d'un ascétisme qui submerge et glace, par instant, le plaisir pur de la découverte. Une poignée d'images s'y perdent, plus particulièrement quand Apitchapong Weerasetakhul se laisse aller à cet érotisme de festival qui frôle le sordide sous couvert de grande méditation sur la condition humaine. A l'inverse, ce sont finalement les dispositifs les plus simples qui touchent au cœur, à l'image de cette scène magnifique où, à force d'être oint et caressé, un soldat inconnu sort de son profond sommeil, et semble, l'espace d'un instant, presque guéri. Cemetery of Splendour est donc bien le récit mythologique d'une caresse langoureuse avant d'être celui, plus fastidieux, de rêves enchâssés et de fièvres contagieuses, même si sur ce terrain précis, Apitchapong Weerasetakhul trouve tout de même à convaincre avec une image finale glaçante d'incarnation. Et de rhabiller le Christopher Nolan d'Inception pour l'hiver en passant.
Par contre, quid de l'homme qui fait caca ? Ma spiritualité légendaire y a trouvé sa limite.
Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste Les meilleurs films de 2015
Créée
le 28 sept. 2015
Critique lue 215 fois
3 j'aime
1 commentaire
D'autres avis sur Cemetery of Splendour
Cemetery of Splendour s’inscrit dans la prolongation de l’œuvre de Weerasethakul. Continuité thématique, on y parle encore de maladie, d’hôpitaux, de croyances religieuses, de confrontation...
Par
le 31 mai 2015
46 j'aime
15
Un vrai artiste abolit les frontières, s'affranchit des particularismes, jette des ponts entre les époques et les mentalités. /Copier/Apichatpong Weerasethakul /coller/ peut être considéré, à partir...
Par
le 12 févr. 2016
38 j'aime
33
C'était mon tout premier Joe en salles. Et tout ce que je peux dire, c'est que ça a été l'une des plus belles séances de ma vie. J'ai rarement été autant envoûté au cinéma. C'est ma première aussi...
Par
le 10 sept. 2015
24 j'aime
9
Du même critique
Les détracteurs du genre auront tôt fait d'agglomérer toutes les comédies musicales du septième art, nonobstant leur grande diversité, en un magma indifférenciable de sentimentalisme neuneu et de...
le 30 janv. 2017
108 j'aime
8
En 1951, le jeune et fringant peintre Jerry Mulligan débarque à Paris pour y devenir artiste, et sans tout à fait y parvenir, trouve malgré tout l'amour, le véritable amour, celui qui se déclare...
le 10 oct. 2020
107 j'aime
9
Le monde va mal! Et tout en assistant à sa décadence, ses plus illustres ancêtres, Adam et Eve (tout un programme symbolique, j'aime autant vous prévenir) se repaissent de leur chair mutuelle. Voilà...
le 20 févr. 2014
78 j'aime
10