Andreï Kontchalovski (adoptez l'orthographe que vous voudrez), 87 ans, toutes ses dents, et un talent intact. Après le somptueux Michel-Ange, le cinéaste russe a enchaîné avec Chers camarades !, qui revient (une vraie découverte pour beaucoup) sur un événement sanglant de l'histoire de l'URSS, datant de 1962, mis sous le boisseau jusqu'en 1992 et pour lequel personne n'a été jugé. Noir et blanc impeccable pour ce film on ne peut plus éclairant qui introduit un personnage de fiction, une officielle soviétique bon teint, pour mieux appréhender les tenants et aboutissants d'une répression menée après une grève et une manifestation d'ouvriers. Kontchalovski est à son affaire pour nous mettre dans l'ambiance de la période (Khrouchtchev est au pouvoir et certains regrettent Staline), y compris les antagonismes entre l'armée et le KGB. Le film est un poil moins convaincant dans le récit intime d'une femme dont la foi communiste est ébranlée par sa réalité coercitive et déçoit franchement dans sa conclusion aussi brutale que plate. Mais peu importe, la reconstitution est épatante et Kontchalovski fait preuve de brio dans les scènes d'action autant que dans les réunions où s'expriment propagande, servilité et convictions. Le cinéaste, qui a réalisé en 1966 l'excellent Le bonheur d'Assia, connait la Russie des années 60 comme personne et gratter la peau de l'URSS a dû le rajeunir, pour de bons et mauvais souvenirs, sans doute. Chers camarades ! est sa façon à lui de se rappeler et la démonstration vaut pour tous ceux qui ont oublié (ou qui ne l'ont pas connu) comment l'on vivait à cette époque derrière le rideau de fer.