« Chaque jour mène à la mort, le dernier y arrive »
Le cinéma français et sa mode du récit littéraire ne cesse depuis la nuit des temps de hanter les esprits et les scripts des jeunes cinéastes, de Renoir à Malle en passant par les pionniers de la Nouvelle Vague, l’espièglerie des années 80 en fut l’apogée. Nourrit de dialogues émouvants et intelligents, la réalisation française des Blier ou Berri se vit l’avènement d’une prouesse scénaristique et métaphysique dorénavant dépassée.
L’époque actuelle si elle n’évolue pas dans l’ombre du passé, ne nourrit qu’une fade modernité où le culte du néant se fait maître. Malgré le fait que certains s’y soit avec succès essayé (Abdellatif Kechiche), le cinéma français souffre depuis la fin de l’ère Pialat d’une redondance narrative abondamment exploitée. Tandis que certains attendent avec impatience le prochain Maïwenn, d’autres seront observés de plus près la richesse cinématographique manifestée dans Chien de la casse.
Premier long métrage du cinéaste Jean-Baptiste Durand, la modestie est de mise, tout d’abord dans le choix du cadre, petit village de l’Hérault, reflet d’une ruralité d’un film de Brisseau, puis d’un casting rassemblant deux jeunes acteurs à suivre. L’histoire est emplie d’une simplicité permettant la mise en avant de ces personnages. Dans une isolation et un ennui expressif, l’humanité se fait entendre. Se calquant à la lenteur d’un Dumont, le jeune cinéaste laisse les silences et les mots s’entremêler à la violence citadine. Dans leur village, Mirales et Dog amis d’enfance occupent les jours qui passent à se voir entre amis, à sortir le soir dans un espace promis à l’échange et à la discussion.
À la fois épris d’une résonnance au monde actuel par la sollicitation permanente des jeunes aux écrans provoquant la perte d’un contact humain ; Chien de la casse rend compte de l’espoir préservé par ces jeunes dans leur débrouillardise et leur réflexion rendues possible par la solitude les plaçant seule face à eux-mêmes.
Laissé bouche bée par l’interprétation juste et touchante de Raphael Quenard, dont la violence intérieure se partage à l’amour pour la littérature, le film de Durand est une magnifique ode à l’amitié et à la lutte envers soi-même. C’est dans la lignée de L’esquive, que le cinéaste livre une dissertation sur la quête d’espérance, où maintenu dans une case, ces chiens de la casse rêves d’un ailleurs meilleur. Joignant des morceaux de vies semblables pour quelques-uns à une jeunesse retrouvée au travers des jalousies entre amis, lorsque l’un d’entre eux tombe amoureux, ou encore lors des discussions tardives sur un banc, Durand élargit en toute subtilité et humilité la réalisation d’une œuvre humaine et intelligente, ouvrant à une nouvelle génération le chemin de l’écriture et des croyances perdues.
C’est dans les mots à la fois prononcés et aspirés par Mirales, que l’élèvement intellectuel agit sur son observateur. Figure d’un cinéma des sens et de l’art à jamais éternel, ce personnage dominateur et insatiable cherche à faire grandir son entourage dont il recherche l’intellectualité. Sur fond de cinéma populaire, l’œuvre de Durand peut se vêtir d’une étiquette de film d’auteur tant dans sa mise en scène que dans ses dialogues premièrement banalisés tout comme le décor, puis dans un second temps salué à sa juste valeur. Les graines ont été semées et la première récolte à fait grand succès reste à voir dorénavant la façon dont elle sera exploitée.