Christine est une cougar, elle a 155 000 km au compteur.
Christine est aussi un Vampire.
Arnie, personnage principal et adolescent paralysé dans les phares de la voiture démoniaque, le dit lui-même : l'amour se nourrit de tout, détruit tout, mais rend invincible. Immortel. C'est le pacte du vampire.
Let me tell you a little something about love, Dennis. It has a voracious appetite (…). You feed it right, and it can be a beautiful thing, and that's what we have. You know, when someone believes in you, man, you can do anything, any fucking thing in the entire universe. And when you believe right back in that someone, then watch out world, because nobody can stop you then, nobody! Ever!
John Carpenter bâti l'héroïsme de ses protagonistes sur l'individualisme et la capacité à rester digne, sans influence. Toute la tragédie de Christine c'est de montrer pour la première fois un personnage qui s'émancipe et qui par là même tombe dans le piège du MAL.
Ce qui fascine dans le vampirisme ce n'est pas le morbide, c'est au contraire que en nous consumant, le vampire nous fait sentir vivants.
Adaptation
Pour commencer, il faut rappeler que "Christine" est l'une des nombreuses adaptations d'un roman de Stephen King en film de cinéma.
En cela, un point particulièrement intéressant, c'est le pragmatisme de John Carpenter dans cette opération pour passer du texte au visuel et réalise peut être la meilleure adaptation au cinéma d'un roman de Stephen King.
Concrètement, c'est difficile d'adapter Stephen King car beaucoup de son œuvre passe par des voix intérieures, des "voix off". Et ça en film, c'est pas cool. Carpenter en particulier est un cinéaste qui évite la voix off et fait passer l'énergie violente non pas par les mots ou le temps long du discours mais par l'image. Ici le simple rouge de la voiture.
Rouge Passion
Le film s'ouvre sur un un bruit de moteur et un V vaginal isolé sur fond noir.
Puis dans le premier plan on assiste à un processus de montage de voitures sur une chaîne industrielle. Parmi toutes les voitures ternes, une seule voiture rouge. Cut, la caméra se colle à elle et filme en embarqué.
Ainsi en 2 plans, "Christine" pose la voiture comme un attracteur. Un point focal qui attire l'œil du spectateur et un piège qui se refermera sur un employé attiré par elle.
Les éléments sont donc assez clairs dès le départ : Christine est une femme au moins autant qu'une voiture, et le rouge est celui de la passion qui attrape la concentration de l'œil et de l'esprit, pour le meilleur (il se passe quelque chose dans ce monde morne) et pour le pire (la conflictualité, la passion peut nous dévorer).
Ce rouge, dans le premier tiers du film, est partagé par de nombreux éléments : la première tenue de la mère d'Arnie, le sweat du joueur de foot qui bully Arnie et son meilleur ami Dennis Guilde à leur l'arrivée dans le lycée.
Au départ Arnie est un personnage vivant mais courbé en noir et blanc. Son monde est terne. Au fur et à mesure que le récit avance, plus ses vêtements prennent de la couleur, plus son corps se rigidifie et sa peau blanchi.
C'est là que Christine prend tout son sens en film de Vampire : Plus la vie envahi Christine, moins Arnie a d'âme. L'adolescent se fige en automate, et comme toujours chez Carpenter, devenir mécanique c'est perdre sa liberté.
Ce qui est beau c'est justement que Arnie a l'impression de gagner en liberté quand il se soumet à sa passion pour Christine. Ce n'est donc pas tant sa passion pour Christine que la passion de Christine envers lui qui le vide.
La séduction du Vampire est un piège. Un procédé de Love Bombing qui n'a pour objectif que d'emprisonner la victime dans une passion dépensée au mauvais endroit.
Se transformer
On l'a vu, si Christine présente des signes de vie dès l'ouverture, celle-ci gagne en vitalité avec le récit. Elle sort comme une automate hantée d'une chaîne de montage pour gagner en autonomie et en capacité à s'exprimer et à agir.
Lorsque la voiture se fait dégrader par la bande de loubards, elle commence par se reconstruire hors champ. L'information passe par le son mais la caméra épouse ce que voit Arnie. Il ne voit pas la magie se produire.
Il prend conscience en même temps que le spectateur de ce qui se passe et se retourne. Il va alors formuler sa demande de strip tease, sa demande de dépucelage.
Ok show me
La musique devient langoureuse et la métamorphose de Christine se fait live dans le plan. Du porn dans la même veine que "The Thing".
La passion de Christine, la magie qui la meut, c'est en fait davantage sa capacité à vivre que sa capacité à tuer. La mécanique narrative à l'œuvre dans cette séquence, c'est un truc qui relève du "Rape and Revenge". Nous sommes du côté de Christine, d'accords avec son droit à la vie et à la justice.
Tout le problème et l'ambigüité vénéneuse du film vient du fait que le vitalisme soi-disant contre-nature de la voiture, est fait de jalousie et de vampirisme.
Dans le procédé vampirique, Arnie aussi va se transformer. Dévirilisé au départ (Quand buddy le bully lui perce son sac a bouffe avec le yaourt qui coule comme du foutre, c'est l'image de ses bourses qui es en jeu.
En bon teen-moovie, "Christine" questionne l'identité adolescente. Comme dans "The Thing" le jeune adulte change, ses idées changent et le vertige qui prend le spectateur, c'est quand on se demande à quel moment Arnie cesse d'être Arnie. Qu'est-ce qui définit notre identité et à quel moment la passion, moteur vitaliste, nous enferme dans son contraire : le devenir "mort-vivant".
Tuer le Passé
Dans le monde mortifère de Christine la monotonie a anesthésié les gens, à commencer par les adultes.
Dans cet univers figé, la peur est causée par l'arrivée d'évènements, ici l'achat d'une voiture, qui sont des retours du passé. Du "déjà là" mais enfouis par l'oubli. Par la désinvolture neurasthénique du Monde.
Dans "Christine", être adulte est donc l'inverse d'être responsable : c'est être organisé mais désinvolte face au MAL.
Chez Carpenter les enfants doivent souvent tuer leurs parents. Avec "Christine" Carpenter montre les 2 faces de cette violente pièce : l'enfant qui devient démon (village des damnés, Pro-Life) et la parentalité toxique (They Live, Escape From New-York).
Les générations ont du mal à se parler. C'est un constat quand on voit les rapports adultes / ados dans le film. Se son côté, la voiture n'a pas la parole. Pour s'exprimer, elle a les grondements de son moteur mais aussi les chansons sur un autoradio. Cette idée géniale fonctionne très bien à l'écran et s'intègre parfaitement avec cette nouvelle génération, celle d'Arnie et Denis, qui ne s'écrit plus de lettres d'amour mais se passent des compil de chansons sur cassette pour se draguer. Une communication médiatisée.
La médiatisation est clé dans le film, car en fait Christine n'est pas une voiture. Christine c'est l'esprit qui hante cette voiture. Emprisonnée dans sa carcasse de métal, son chrome et son autoradio sont les objet du Monde qui lui permette d'entrer en interactions avec les pulsion des humains. Celles qui ne trouvent pas leur assouvissement par la communication humaine.
"Christine" est un film fait de cette matière : la communication orale et les liens médiatisés.
Au moment de l'achat de Christine par exemple, le vendeur et Arnie ne s'entendent pas vraiment (Arnie ne retiens pas le prix annoncé) : ils ne se comprennent que parce qu'ils sentent leurs pulsions, partagent une passion qui fait le lien entre eux.
Denis, aka le bon pote, représente le contrepoint positif : dans un monde où les personnes s'isolent, il est le dernier qui parle a tout le monde, il transporte Arnie et sa meuf comme il fait le mediateur entre Arnie et ses parents. Il est aussi celui, le seul, qui parle dans la bibliothèque là où le silence est imposé.
Liberté
Le vrai piège chez Carpenter, c'est de ne pas voir le mal. D'être contaminé par lui.
Cette contamination consiste à perdre sa liberté, son autonomie. Ce qui est beau et tragique dans Christine c'est que la chute de Arnie n'est pas comme dans "They Live" une compromission par confort mais au contraire la conséquence d'une pulsion vitaliste d'un adolescent qui cherche justement à échapper à l'anesthésie de l'Amérique de son temps.
Happy End. A la fin tout rentre dans l'ordre. Le beau gosse et la plus belle fille du lycée sont vivants. Ils sont des héros. Ils ne crieront plus, ne pleureront plus. Des modèles au sein du système qui les a normalisé.
A la fin la passion est morte.
Les weirdos et les racailles sont mortes
A défaut d'être beau, ce qui reste est joli. Gentil. Dans le rang.
L'inverse de "Starman" ou les marginaux s'entraident pour échapper à l'autorité. Ici ce sont les normies, les mignons, qui vont nettoyer le monde de leur pote incel et de son amour atypique.
C'est toute l'amertume de cette fin de film où de la carcasse de Christine concassée on attend un mouvement, avec autant d'anxiété que d'espérance.
Car vivre, c'est avant tout se sentir vivant.
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Filmo de John Carpenter :