Chronicle n’est pas un film de super-héros, mais de super-anti-héros. Ces trois adolescents qui se découvrent des dons de télékinésie (en gros déplacer des choses par la simple volonté de l’esprit) ont en effet ce goût de la jouissance égoïste auquel sont totalement étrangers les altruistes Spiderman et autre Superman. Et quand ces derniers, en bons surhommes, s’acharnent sans cesse à déjouer toute source de chaos, ce trio de jeunes gens « normaux » et égocentrés y saute à pieds joints. Chronicle, c’est en fait un conte habile sur les dérives du pouvoir.
Les super-héros classiques n’existent en général que vis-à-vis des méchants qu’ils traquent. Ce sont souvent des personnages sans saveur, seulement animés par la nécessité de faire le bien. Les trois garçons de Josh Trank vivent en revanche par eux-mêmes, ils ont un moi propre qui en fait des individus à part entière et pas seulement un prétexte à mettre en valeur un nouveau génie du mal. Andrew est ainsi mal dans sa peau, timide, pris entre un père alcoolique et sa mère très malade. Matt, c’est le beau gosse incollable en philo, meilleur ami de la star du lycée, le dénommé Steve, qui n’est autre qu’un clone d’Obama ado, tout sourire et forcément super sympa. À eux trois ils forment une équipe instable, comme peut l’être une fissure éruptive qui ne demande qu’à exploser.
Et parce que les trois amis se regardaient déjà gentiment le nombril avant de détenir leur pouvoir (Andrew filme tout son quotidien, Matt est dans sa petite histoire de cœur, Steve concentré sur son élection de président des élèves), c’est sans surprise qu’ils usent de ce dernier à des fins strictement personnelles. Lorsque l’on est équilibré et encore naïf comme peuvent l’être Matt et Steve, cela conduit simplement à des jeux cocasses (une peluche attaque une petite fille, un caddie se fait la malle dans un supermarché), décrits avec beaucoup de tendresse par le réalisateur. L’impression de réel instauré par le choix de la caméra amateur nous projette immédiatement dans nos rêves d’enfant, et les voir se réaliser à l’écran a quelque chose de totalement réjouissant. Mais lorsque l’on est en pleine crise, tel Andrew, Josh Trank semble vouloir nous dire que le pouvoir couplé à la frustration conduit à l’anarchie, tôt ou tard.
En ce sens, Chronicle peut évidemment se voir comme une métaphore politique, mais il a d’autres qualités. L’audace de Josh Trank est aussi d’avoir réussi à compiler en une heure et demie le comique, le drame familial, le pyrotechnique et de retourner comme un doigt de gant le principe du super-héros. Un film beaucoup plus ambitieux qu’il n’y paraît, donc, à la classe évidente, loin du teenage movie un peu concon que laissait augurer l’accroche du film : « l’abus de superpouvoirs est dangereux pour la santé ».