A la hauteur de l'immense cité emmurée dépeinte dans son dernier film présenté en France, le cinéma de Soi Cheang n'en finit plus de surprendre et fera à coup(s) sûr(s) date, au même titre que Tigre et Dragon ou Shaolin Soccer ont permis à Hong-Kong de rayonner à échelle mondiale tout en étant pris absolument au sérieux par la critique et le public. Non pas qu'il y aura un avant et un après City, mais la manière dont Soi Cheang rivalise d'audace et de classe pour raconter son manhua est un modèle pour tous les cinéastes de cinéma d'action, outre-Atlantique notamment, qui se prennent les pieds dans le tapis de la flemmardise quand il est question de créer pour les plateformes de streaming des soi-disant films percutants.
Le réalisateur de Limbo, quand la presse en parle, elle oublie peut-être un peu vite Love Battlefield, Dog Bite Dog, Accident ou encore Motorway qui, s'ils ne sont pas des chefs-d'œuvre marquants, ont fait montre d'un artisanat troussé par un cinéaste de caractère.
Tous les ingrédients du cinéma de HK depuis trente piges sont ici réunis en deux heures fonçant tête baissée.
La dégaine inouïe des personnages rendue possible par le prisme original du manhua, le contexte sous-jacent de la politique migratoire chaotique, la grandiloquence de l'aire de jeux (la citadelle, aussi bien filmée que ne pourrait l'être Hong-Kong), les personnages reconnaissables par leur look ou leurs pouvoirs spéciaux, la manière de se mouvoir dans des espaces faits de béton, câbles, ordures, en échos au cinéma chorégraphique de Tsui Hark, les faux-semblants (Louis Koo, coiffeur), l'apprentissage par la douleur, la bouffe partout et tout le temps (du porc, du riz, des raviolis), le mahjong, les prostituées, les armes blanches, les clopes, la moto, les masques, Sammo Hung assis les 3/4 du temps comme un vrai Boss qui n'en branlerait pas une, la dégustation d'un Pu-Erh avant de régler ses comptes officiellement, la pesanteur qui n'existe qu'à moitié, l'amitié virile, la vengeance, la rédemption, la famille, sans oublier bien sûr le karaoké (sous-titré en temps réel!), la musique nulle sauf la guitare ou encore le pathos quand c'est nécessaire.
On pourrait sûrement continuer mais, un peu comme là-bas, j'ai de la bouffe sur le feu.