Un film qui n'est pas dénué de défauts, mais qui parvient à les faire oublier au profit de quelque chose de plus large, de plus profond. On sort retourné de ces 2h 15 passées en enfer. Un enfer dont Lu Chuan n'épargne au spectateur aucune de ses plus horribles facettes. On abandonne rapidement le fracas des combats de rue, réduit à néant par la puissance de feu nippone, et l'on se retrouve encerclé, coincé, harcelé dans la promiscuité de ses congénères devenus bétail amassé dans un enclos de fil barbelé. Commence alors le massacre, dans toute sa violence, mais jamais sans tomber dans le voyeurisme. Il fallait bien le noir et blanc et cette pellicule salie, au cachet d'époque, pour ne pas succomber à ce mortel travers. L'esthétisation, bien réelle, n'a heureusement rien d'artificiel. Elle accompagne, elle augmente la force du propos mais elle ne le dépasse jamais pour le reléguer au second plan.
Lu Chuan a pris le parti, ô combien périlleux, de substituer à la psychologie de ses personnages, très implicite, la seule puissance de l'évocation de leur expérience. Un choix réussi du fait notamment de son utilisation remarquable des gros plans qui font ressortir avec énormément de pudeur et de sincérité toute la tristesse et le dégoût provoqués par la guerre. La photographie dans son ensemble est une merveille d'évocation. Une qualité renforcée par les mouvements de caméra (à l'épaule, en traveling...) qui donnent à l'ensemble un aspect des plus saisissants. Le cliché est rare, le mélodrame absent.
Avec City of Life and Death, Lu Chuan est parvenu à de nouveau dire quelque chose sur la guerre, thème éculé s'il en est au cinéma, et mieux, à en donner une lecture à de nombreux égards unique. Ce qui ne signifie pas pour autant que le propos du film soit simpliste ou univoque, au contraire. C'est par touches retenues et discrètes que ressurgit progressivement, au sein même de l'ennemi japonais, cette humanité qui paraît avoir déserté les rues de Nankin. Les symboliques sont légion et offrent au film une profondeur d'interprétation bien réelle ; profondeur que vient sublimer l'ambiance sonore et visuelle.
Une oeuvre inquiétante, violente, et qui laisse parfois bouche bée, comme lors de cette scène où paradent, dans une sorte de transe mystique et guerrière, les soldats de l'armée nippone, au rythme lancinant des taïkos, comme seul répit au silence de mort de cette ruine de ville, au-delà des cris et des pleurs.