Civil War est la nouvelle production A24, mais surtout le nouveau film d'Alex Garland. Notamment connu pour être le scénariste de 28 Jours Plus Tard, il est également le réalisateur et scénariste d'Ex Machina, Annihilation, et plus récemment de Men. Le film suit une équipe de journalistes qui parcourt les États-Unis, alors en proie à une guerre civile sans précédent. Uniquement armés de leurs appareils photos et caméras, ils vont notamment devoir faire face à l'armée américaine, qui a pour ordre de tirer à vue sur tous les reporters qu'elle rencontrera.
Garland revient donc ici à son terrain de prédilection, à savoir le récit de science-fiction. De la science-fiction malgré tout particulièrement ancrée dans la réalité, mais aussi dans le post-apocalyptique, avec énormément de séquences qui font penser à 28 Jours Plus Tard, mais également à la saga The Last of Us. Le long-métrage prend effectivement la forme d'un road-movie, qui déborde d'une tension assez remarquable, à la manière d'un Sicario de Denis Villeneuve. Le réalisateur nous plonge en permanence dans des séquences profondément anxiogènes, notamment grâce à un sound design bluffant, mais surtout un travail du cadre et de la mise en scène absolument dingue. Garland place toujours sa caméra au bon endroit, et parvient à rendre ultra-lisible des séquences pourtant intrinsèquement chaotiques. Il propose en permanence des idées visuelles assez sidérantes et des éclairages somptueux, créant bon nombre de plans vraiment mémorables. Même si on regrettera une photo en journée assez inoffensive, et des séquences clippesques musicales pas franchement nécessaires.
A côté de ça, le film étonne particulièrement par sa violence très crue, attestant du caractère impitoyable de la réalité qui nous est dépeinte. La brutalité du récit est également renforcée par le dispositif de filmage. En effet, cette captation brute d'images aussi graphiques, à travers des objectifs d'appareils photos ou de caméras, rend cette réalité profondément palpable. Une belle manière de nous rappeler que cette réalité n'est peut-être pas si éloignée de la nôtre.
Car à travers cette vision nihiliste et chaotique, le film fait un parallèle évident avec la réalité-même de l'Amérique moderne, enclin à des divisions et des tensions sans précédent, mais également à une légalité du port d'arme particulièrement problématique. Avec d'ailleurs quelques gros clins d'œil adressés à Trump, et notamment à l'attaque du capitole par ses partisans qui a eu lieu le 6 janvier 2021. Le film est sorti il y a quelques mois aux Etats-Unis et il a énormément divisé le public, ce qui ne me surprend pas du tout au vu de son discours assez trouble, et notamment son acte final vraiment déroutant. Mais j'aimerais plutôt creuser le sujet plus tard, en partie spoilers. En tout cas, qu'est-ce que c'est agréable de voir un gros blockbuster, américain qui plus est, oser représenter un récit politique de manière aussi radicale.
Malgré tout, Alex Garland ne peut encore une fois pas s'empêcher de sortir des standards Hollywoodiens. Il met en scène une guerre totale absolument cataclysmique, et pourtant garde son objectif braqué sur son casting très restreint. C'est un point de vue vraiment déroutant, et du coup le film peut s'avérer frustrant pour certains, puisqu'il ne fait quasiment jamais de dézoom, ou de vue d'ensemble du conflit. C'est un road-movie qui s'articule autour de séquences très spécifiques, et qui ne va tourner qu'autour d'un groupe de personnages très compact. Mais c'est très clairement ce qui fait la force de l'œuvre selon moi.
Avec ce casting particulièrement restreint, le réalisateur nous permet de nous projeter humainement et intellectuellement dans ce conflit. De prendre part aux conversations, de se questionner sur les propos des personnages et sur leur moralité. Chose que l'on ne ferait pas si le conflit était montré d'un point de vue extérieur et global (ce qui est le cas dans la quasi-totalité des blockbusters Hollywoodiens).
L'écriture est extrêmement efficace au global, avec des séquences de dialogues justes et drôles la plupart du temps, malgré un contexte très lourd. Le tout est transcendé par un casting brillant, avec Kirsten Dunst en tête. Qui interprète magnifiquement cette photographe de guerre complètement détruite intérieurement, par les horreurs qu'elle a dû immortaliser au cours de sa carrière. Et qui, même si désabusée, va transmettre son savoir à une jeune photographe. Ce qui est par ailleurs une jolie mise en abyme du passage de flambeau d'une actrice confirmée, à savoir Kirsten Dunst, à une actrice émergente, à savoir Cailee Spaeny.
Car Civil War c'est avant tout un film sur le métier de journalistes de guerre. Le long-métrage montre toute l'horreur à laquelle nous confronte ce métier, mais aussi la passion et la fascination morbide qu'il peut engendrer. Ce discours sur les médias m'a alors beaucoup rappelé Night Call, un excellent film avec Jake Gyllenhall, qui décrivait déjà cette course aux images chocs, et cette insensibilité des journalistes face aux pires horreurs.
Malheureusement, à vouloir prendre trop de distance, et à vouloir être trop flou sur les raisons politiques de ce conflit, le film n'arrive malheureusement pas à proposer un discours totalement impactant. Le tout semble finalement assez froid et clinique, et on ne peut que regretter l'opportunité manquée d'avoir un vrai grand récit politique sulfureux. Et surtout avec une séquence finale assez choquante, et qui m'a laissé particulièrement dubitatif sur le message du film. Mais pour discuter de ça, on va rapidement passer en partie spoilers.
Comme je l'ai dit, le film est assez avare en termes d'éléments de référence politiques, donc ce que je vais dire va surtout reposer sur ma propre interprétation. Il me semble que le film dépeint des révolutionnaires qui font face à un gouvernement loyaliste, voire carrément fasciste. Effectivement, le président est sur son troisième mandat, la censure est totale puisque l'armée a ordre de tirer à vue sur la presse, et les partisans loyalistes font preuve d'une xénophobie totale, notamment observée lors d'une scène avec Jesse Plemons. La séquence finale du film montre l'attaque du capitole par les révolutionnaires, et une attaque réussie puisqu'ils vont aller jusqu'à mettre à mort le président. Une mise à mort d'ailleurs interrompue par un des journalistes, pour demander une citation, afin de nommer l'article en question. Et le tout sera capturé par l'appareil photo de la jeune journaliste. Une mise en image vraiment choquante donc mine de rien, qui a évidemment créé une gigantesque polémique aux Etats-Unis. Et c'est assez logique, puisque les enjeux politiques sont encore une fois très peu caractérisés, et donc on a du mal à se positionner sur le réel message de l'œuvre. Est-ce que la séquence finale est une glorification de cette violence, et de cette prise de pouvoir par la force, c'est difficile à dire, et du coup ça me dérange un peu. Personnellement, je préfère voir le film comme une réalité alternative, une possibilité concrète de chaos total, qui grandit malheureusement chaque année. Et qui pourrait très clairement s'appliquer au cas de la France, au vu des tensions dans le pays ces dernières années. D'ailleurs, Garland a malgré tout une idée maline et qui désamorce un peu ce discours trouble, en expliquant que l'armée révolutionnaire provient d'une alliance entre le Texas et la Californie. Texas, état clairement républicain, et Californie, état clairement démocrate, donc ouais on est bien dans de la science-fiction.
Bref, Civil War c'était une très grosse attente de mon côté, et je n'en ressors pas déçu. C'est une vraie proposition d'auteur, qui prend complètement son spectateur à contre-pied. Garland n'en oublie pas pour autant son talent de cinéaste, avec des images et des séquences profondément mémorables.
8,5/10
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