Civil War
6.8
Civil War

Film de Alex Garland (2024)

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C'est une Amérique en guerre que nous dépeint le scénariste de La Plage, qui décidément aime à chatouiller les limites de notre humanité.

Une Amérique telle qu'elle l'a été il y a quelques siècles et telle qu'elle le sera peut-être à nouveau bientôt.


Pour Alex Garland, qui nous avait pris de court avec Ex-Machina, envoûté et glacé avec Annihilation (un film qui mériterait revisionnage) et terrifié avec le trop méconnu Men, cette Amérique, qu'il fait traverser par ses personnages, est un prétexte à une exploration, désormais exponentielle dans sa filmographie, de toutes ses obsessions.

Civil War se construit sur la base du contraste, entre le silence de la photographie et le vacarme de la guerre, entre la beauté d'une nature immaculée et celle de villes désertées et fumantes, entre la douceur de moments suspendus, d'étincelles comme des lucioles qu'on attrape en plein vol, et la brutalité et laideur d'une balle en pleine tête.


Tout en contraste donc et en paradoxes ironiques constants, qu'illustrent de pertinents choix musicaux (quelle playlist !) qui, en compensant la violence, la souligne d'autant, dans une formule qui, plus l'on s'enfoncera dans le film, rimera avec parodie.


En effet, Garland ne semble pas avoir tant de sympathie pour les personnages troubles qu'il filme. Ces journalistes de guerre (très bien interprétés), qui par moment frolent le cliché, sont égoïstes et sans parti, incarnation d'une société avide d'image, voyeuse, fascinée par les symboles et comme complices de l'horreur qu'ils figent avec leur obturateur. Par cette course absurde au cliché qui restera (the golden shot), le réalisateur enfonce le clou d'une satire politique terrassante de brutalité. Ces Américains surarmés, bourrés de rancœur (pour leur voisin comme pour le président), lancés dans une guerre sanguinaire à grande échelle qui n'est finalement l'illustration que de règlements de comptes de petits egos, de petites libertés frustrées, cette Amérique au drapeau à deux étoiles (peut-être l'invention la plus brillante du film, qui incarne efficacement la lutte raciale et de de classes), l'Anglais Alex Garland la malmène, tabassant tout ce qui bouge à grands coups jamais retenus, ramenant toutes les strates sociales plus bas que terre, sur un même pied d'égalité de grossièreté.

Impossible à la fin de ne pas invoquer les fantômes de l'attaque du Capitole, qui nous rappelent, à raison, la si grande fragilité de la démocratie et la bêtise de ceux qui la font vivre, tant au niveau du citoyen que du politique.


Derrière le grand spectacle, le film d'aventure, le road trip parsemé d'embûches et conçu comme un jeu vidéo, derrière les effets visuels et sonores terrassants de réalisme (sans céder au sirène de l'immersif à tout prix et du plan séquence comme seul argument), Garland nous pointe du doigt. En nous estomaquant par la séquence de l'assaut final, véritablement hallucinante dans son déferlement de bruits et son tourbillon de violences gratuites presque intenables, le réalisateur nous tend un miroir et, par la fascination morbide et presque sexuelle (ces coups de feu au loin qui font bander un personnage) qu'il exerce sur nous, nous fait devenir ses personnages, et comme eux, complices de l'horreur. C'est en effet bien nous que l'on regarde sur le plan final.


L'ironie mordante et grinçante de ce grand film dont on reparlera sûrement dans quelques années, est d'une radicale efficacité, et rappelle finalement le pire de l'histoire, pour laisser présager du pire pour l'avenir.




Créée

le 25 avr. 2024

Critique lue 36 fois

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Charles Dubois

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