Depuis sa création en 2012, il n'a pas fallu longtemps pour que la société de production et de distribution A24 devienne le petit favori dans le paysage du cinéma indépendant américain bien qu'avec Civil War, cette dernière marque un nouveau record en interne en entrant dans la catégorie du petit blockbuster estimé à 50 millions de dollars. Seulement aujourd'hui, son aura de marque a pris une telle ampleur qu'elle en est devenue sa propre raison d'être marketing parfois au-delà des films eux-mêmes bien que l'ampleur de ce nouveau projet semblait très prometteuse au vu de son scénario surtout face à une Amérique en pleine période électorale.
Si l'Histoire du cinéma n'a cessé de construire et de déconstruire des mythes, ce qui intéresse véritablement la fiction, c'est raconter l'essence et l'héritage des Etats-Unis où le goût de la liberté si présente et mise en valeur s'est écrite à travers les guerres, les désaccords et la division d'états qui répondent chacun à leurs propres lois - rendant alors, dans le film, l'alliance entre Californie et Texas d'autant plus étonnante au vu de leurs divergences politiques.
Malheureusement, passé ce cadre théorique riche de sens et de bonnes idées, Alex Garland se rate complètement sur le plan de la pratique. En faisant de son concept une simple toile de fond sans explications sur le pourquoi de sa présence, la dimension floue de son contexte dystopique empêche certes le cinéaste de faire un procès d'intention mais rend par conséquent très difficile la tangibilité de son conflit à l'écran. Pourquoi est-ce que les Etats-Unis se sont fracturés ? Une question essentielle que le cinéaste aurait dû poser afin de matérialiser de véritables motivations pour ses protagonistes reporters traversant le pays afin d'obtenir une dernière interview du Président avant sa destitution. Si leur voyage de New-York jusqu'à la Maison-Blanche permet de traverser un paysage post-apocalyptique bien travaillé, Civil War ne s'avère être qu'un pauvre road-movie à la galerie de personnages et aux péripéties toutes plus ridicules et bâclées les unes que les autres sans jamais parvenir à dégager la moindre tension ou le moindre effroi face à une Amérique perdue et irréconciliable. Si chaque rencontre peut voir apparaître une arme à feu ou des extrémistes sanguinaires, elle est surtout une manière de dépeindre bêtement une guerre identitaire où il n'est plus question de nation.
Ce manque de nuance se ressent d'autant plus que malgré ses plans ultra-composés et chocs (lavomatique transformé en salle de torture, drapeau américain dépossédé de ses 50 étoiles, fausse à cadavres, explosion du Lincoln Memorial…), Garland est incapable de penser la dramaturgie de ses séquences et s'empêche constamment de proposer pleinement une expérience viscérale et sensorielle par son montage musical affreux et ses questionnements futiles quant à la place des médias en tant de guerre, l'importance et l'éthique de la captation de la vérité au travers de l'œil d'un appareil photo qui ne s'avère être qu'un isolement poussif d'images que le spectateur voit déjà - ce qui est d'autant plus ironique que la caméra semble bien plus s'amuser à mettre en scène ses figurants soldats sur le champ de bataille plutôt que ses propres protagonistes.
Si Garland voulait faire une observation, une retranscription claire de l'horreur de la guerre afin d'interpeller le spectateur, encore aurait-il fallu donner une valeur à ses images toujours au premier plan de l'action, proposer un point-de-vue politique percutant et une réflexion réelle sur la remise en question d'une identité nationale en tant qu'individu plongé dans un conflit l'obligeant à faire un choix afin de rester en vie.