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mai 2010:

C'est ce qu'on appelle un rendez-vous manqué. Un gros lapin. Sur le moment, à la fin du visionnage, je ne festoie pas vraiment, partagé entre la sensation que ce film est important et le sentiment de frustration né du peu d'empathie ressenti pour le personnage principal. Je me suis longtemps ennuyé du conflit intérieur que subit la pauvre Cléo, la futile Cléo, la gamine Cléo.
A partir du moment où elle déchire ce voile d'innocence et entre dans l'âge adulte en affrontant la vraie vie, celle qui n'est pas garnie d'illusions, de simples reflets inoffensifs mais de corps bien réels, alors, à ce moment-là seulement, le film m'a beaucoup plus intéressé. Jusque là, jusqu'à cet instant où Cléo enlève son postiche, elle était une enfant capricieuse qui gesticule et met toute son énergie à éluder. La question de la mort l'oblige à entrer dans le monde des adultes, à lâcher les miroirs aux alouettes où elle cherchait sans cesse à s'admirer. Elle est belle certes, mais sa tête aussi belle soit-elle n'est que de linotte. Le corps n'est beau que dans le miroir. L'autre est sale, étrange, monstrueux, il se perce, il avale des crapauds, il fait mal. N'acceptant son physique uniquement que comme une image, une photographie et non comme une chose bien concrète, faite de chair et de sang, de nature à dépérir, se détériorer et mourir, Cléo ne vivait pas vraiment dans la réalité mais dans la superstition, le désir matériel, la futilité des images, l'absence d'émotion partagée. Quand elle chante une chanson sur la tristesse de l'abandon, sur la mort de l'amour, ce rappel qu'elle vit dans le mensonge devient insupportable, et salutaire. Avec cette peur du cancer, Cléo va vivre de 5 à 7 deux des plus éprouvantes et des plus bouleversantes heures de son existence, mais qui vont lui permettre de sourire réellement. Accepter ce corps et donc accepter l'éventualité de sa mort c'est enfin envisager le bonheur et sourire à la vie, s'ouvrir à la vie et peut-être à l'amour.

Tout cela ne m'apparait que progressivement au cours du film et cela n'engendre pas pour autant une émotion ou un enthousiasme débordant pour le personnage de Cléo. En ce qui me concerne du moins, elle m'a longtemps tapé sur les nerfs. La suivre dans ses déambulations angoissées et geignardes m'a fatigué. Je louais la patience infinie de Dominique Davray ou de Dorothée Blank, ne parvenant pas pour ma part à ces degrés d'abnégation.

A la fin du film, je ne savais trop que penser, un peu interdit, mal à l'aise avec toutes ces contradictions : ce film qui m'avait ennuyé profondément (la longue première partie du film), celui qui m'avait irrité (les caprices de Cléo), celui qui m'avait bouleversé (la chanson "Sans toi" est à tomber, un moment magique, d'une pureté d'émotion rarement atteinte), celui qui m'avait intrigué (les longs plans de vue en caméra subjective depuis le taxi), celui qui m'avait amusé (le film dans le film avec la clique "Nouvelle vague") et celui qui m'avait tendrement touché (la rencontre finale). J'ai parfaitement conscience que la dernière partie est totalement tributaire de la première partie, que le lien de cause à effet est consubstantiel au propos du film, que la progression est sensée, plutôt bien pensée même, mais que voulez-vous, j'ai trouvé la première partie ennuyeuse, voire désagréable. Cependant mon petit doigt me dit qu'une seconde lecture me la ferait bien plus apprécier.

Je découvre une cinéaste, Agnès Varda, particulièrement gonflée. Sa mise en image est souvent périlleuse et pourtant parfaitement photographiée. Ses cadrages, ses mouvements de caméra sont audacieux. Ils donnent vie à la vitesse, l'espèce de hâte dans laquelle Cléo vit ses heures difficiles, dans cette impatience et cet effroi conjugués.

Le montage également se permet un découpage que l'on ressent comme élaboré, donnant ici un rythme lent, là un souffle, une secousse, une course folle. Le film parait très moderne, très vif, parfois très beau, d'une joliesse naturelle, comme certains plans dans le parc, dans le bus. A d'autres moments la caméra se fait documentaire en scrutant les expressions dans les visages des piétons dans les rues de Paris. Cet aspect touristique qui maintenant se pare de l'accoutrement historique m'a beaucoup plu.

D'Agnès Varda je n'ai vu jusqu'à aujourd'hui que "Sans toit ni loi", à sa sortie et qui ne m'a laissé que quelques images pour souvenirs. Cléo a au moins eu l'avantage pour mézigue de piquer ma curiosité sur sa réalisatrice. Et je pense qu'un jour, je le reverrai et l'aimerai à une plus juste valeur. Ne pas aimer un film parce qu'on s'est emmerdé est souvent une mauvaise raison, une raison d'humeur, d'état passager... pas toujours mais souvent. En tout cas, je me méfie de cette raison là.
Alligator
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le 7 avr. 2013

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Alligator

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