Petite surprise au mois d'avril que l'annonce d'un nouveau film de Gaspar Noé à la quinzaine de Cannes. La promotion et le buzz entourant son précédent film, Love, s'était étalés bien avant sa première projection et avait abouti à une certaine déception une fois devant le résultat final. Cette fois, Noé revient plutôt par la petite porte, mais de manière fracassante.
Pour ne pas trop gâcher le plaisir des prochains spectateurs, concentrons nous sur l'ouverture du film, qui en trois plans (mais quels plans !) donne le ton de l’œuvre et offrent quelques clefs de lecture tout en présentant un concentré des obsessions et de la technique formelle de son réalisateur.
Premier plan : Vue aérienne, une femme titube, ensanglantée et s'écroule dans la neige. Prise de convulsions erratiques, son sang se mélange à la neige. la caméra poursuit son chemin, passe par dessus un arbre mort, et termine sa course face à une étendue infiniment blanche. Alors que la couche de neige immaculée et le silence évoquent une certaine perfection, le sang et les cris de la femme viennent casser cette uniformité. La femme, couchée sur le dos, agite les bras et les jambes dans la neige, formant un ange sanguinolent et l'image évoque un paradis (blancheur, immensité, point de vue du dessus) souillé. Renforcée par l'arbre mort, cette vision annonce la descente aux enfers qui nous attend.
Second plan : Long plan fixe avec vue sur une télévision. La vidéo est une suite de courtes séquences dans lesquelles les personnages du film se présentent rapidement tour à tour. Autour de la télévision sont empilés livres et vhs. Ce plan est formellement à l'image de tout le film qui va alterner morceaux de bravoures en plans séquences montrant les personnages au sein d'un groupe (une meute presque) et montage rapide permettant de faire vivre les personnages plus individuellement. La durée de la séquence laisse le temps au spectateur d'analyser les références que le réalisateur place sur les étagères entourant la télévision. Les bouquins de Despentes et Vuillemin côtoient les VHS de Lynch, Pasolini et Bunuel. On le savait déjà mais Noé l'annonce, il fait dans l'image choc. Ces citations sont brandies comme un avertissement au spectateur et on croirait presque revoir le "toi qui entre ici abandonne toute espérance" lu par Dante sur la porte des enfers. Alors que les personnages se présentant sur la télévision semblent enjoués de participer à cette session entre danseurs, nous avons une preuve supplémentaire que l'expérience va probablement mal tourner.
Troisième plan : Longue séquence dansée. Les personnages vus à la télévision sont maintenant réunis dans ce lieu qui sera le cadre du film. Alors qu'ils se sont présentés par la parole, c'est leur présence physique et leur manière de danser qui nous apporte maintenant une nouvelle vision sur ces protagonistes. La danse à plusieurs, minutieusement organisée, prend la forme d'une parade. Cette danse continuera, en quelque sorte, tout le long du film, mais tournera progressivement de l'exercice de groupe à la transe individuelle. La chorégraphie entre les personnages lors de cette séquence fait écho à la chorégraphie du cinéma de Noé entre sa caméra et ses acteurs. De mouvements et cadres plutôt simples en début de film, la caméra va ensuite s'emballer de plus en plus au fur et à mesure que le film sombre, glissant entre les individus comme si elle était un personnage supplémentaire, ivre, drogué, et cherchant à se raccrocher à quelque chose.
Ces premières minutes sont loin d'être le seul intérêt du film et je laisse à l'appréciation du lecteur la qualité de bons nombres d'autres éléments (la BO bien sûr, de Satie à Aphex Twin, mais aussi la construction en montée puis redescente en bad trip, les parallèles avec Enter the void sur les questions de vie et mort, l'excellent plan final...).En plus d'être à la fois entraînant et dérangeant, le film apporte même quelques pensées politiques et philosophiques. Le gloubi boulga théorique est évité car ces idées sont exprimées de manières vives, mais brèves (avec quelques intertitres très nouvelle vague), et le film reste avant tout organique (sueur, vomi, sang, pisse, rien ne nous est épargné).
D'un format plus resserré que les précédents films du monsieur, Climax gagne grandement en efficacité tout en gardant tous les ingrédients qui font le sel (le piment plutôt) du cinéma de Gaspar Noé.