“What is an ocean but a multitude of drops?”
Le dernier métrage des Wachowski, en coréalisation avec Tom Tykwer (ce dernier ayant également composé la superbe BO du film), est l’adaptation d’un roman de David Mitchell : Cartographie des nuages. Je n’ai pas lu le livre mais j’ose imaginer que le matériau d’origine était déjà bien dense, car Cloud Atlas aborde énormément de thèmes différents. Là où certains spectateurs ont vu avant tout une critique sévère de la religion, je serais tentée de d’abord définir ce film comme faisant l’apologie de la révolution (mais ces deux sujets ne se rejoignent-ils pas ?...). Une révolution qui part toujours d’une prise de conscience et d’une initiative individuelles. Le parallèle avec Matrix est incontournable, et le spectateur qui a vu la trilogie (ou même le premier tiers) ne pourra s’empêcher de faire le rapprochement avec la dystopie de 1999. Ok, on est tous d’accord : Cloud Atlas reprend les grands axes philosophiques de l’œuvre-phare des frères Wachowski. Bravo, tout le monde l’a compris. Et alors ? Si ces derniers peuvent sembler obsédés par les mêmes sujets, on a aussi le droit de se réjouir de les voir traiter ces thèmes de manière aussi puissante dans chacun de leurs films les abordant.
Chaque espace-temps de Cloud Atlas a pour but premier la mise en avant de cette question : quelle est l’importance de tout acte individuel dans le combat contre une autorité qui lui veut du mal ? Le film dénonce le laisser-faire et la résignation présents dans chaque société, dans chaque époque, et surtout dans chaque Homme, et démontre brillamment que combattre la tentation de s’y laisser aller est la clé vers un futur plus vivable. Résumé comme ça, ça va paraître simpliste et cucul aux yeux de beaucoup. Mais franchement, lorsqu’on voit la société dans laquelle on vit, on est contents d’assister à des œuvres effectuant ce genre de piqûres de rappel.
Ce combat contre un système établi, se retrouvant à un niveau équivalent dans les 6 tableaux, en fait pour moi le propos principal du film. Mais la recherche de la vérité – très appuyée dans Néo Séoul et dans le futur post-apocalyptique – est également un propos très présent dans l’œuvre, et passe notamment par la soif de connaissance de Sonmi, suite à sa rencontre avec Hae-Joo. En témoigne la très juste réflexion de la jeune femme lors de son éveil à la conscience : “Knowledge is a mirror.”
La structure du métrage s’avère consistante lorsqu’il s’agit d’impliquer le spectateur dans 6 espaces-temps extrêmement différents : passées les 20 premières minutes, on se sent concerné par tous les personnages. On doit cette lisibilité en grand partie au rendu des époques très maîtrisé, avec une identité visuelle forte pour chaque tableau. Les années 70 sont particulièrement convaincantes, avec leur filtre orangé et des décors soignés. Le talent des réalisateurs de Matrix est par ailleurs confirmé par la mise en image d’un Néo Séoul dystopique plus que crédible. Les détails sont là, comme un plan fugace sur un titre d’œuvre « subversive » interdite, économisant des explications longues – qui ont sûrement leur place dans le roman. La touche d’humour apportée par le parcours de Timothy Cavendish rafraichit l’ensemble (avec une jolie référence à Soleil Vert, croisée à une autre, plus noire, dans Néo Séoul), mais n’oublie pas de nous raconter une vraie histoire.
On reste impliqué dans les différents récits en grande partie grâce à la narration : chaque époque bénéficie d’une ou de plusieurs voix-off successives. Ce procédé nous permet de nous attacher aux personnages, de comprendre les implications qu’il aurait fallu 2h de plus pour développer à l’écran, et de nous replonger beaucoup plus facilement dans chaque histoire après les cassures dans la narration qu’impliquent les sauts entre tableaux. Mais ces cassures sont compensées par plusieurs séquences de climax parallèles sur 2 histoires distinctes : on a envie de voir la fin d’une scène à suspense, mais le saut vers une époque différente, à la situation aussi haletante, n’est frustrant que pendant quelques fractions de secondes.
Il est difficile de ne pas mentionner le casting de Cloud Atlas, qui impressionne d’une part par sa justesse, et surtout par la capacité à la métamorphose de chaque acteur. Rendons avant tout justice aux maquilleurs, qui ont accompli des prouesses sur certains personnages. Le jeu consistant à retrouver les différents acteurs dans les différents espaces-temps est parfois compliqué par la surprise d’identifier un personnage « méchant » joué par un comédien incarnant un « gentil » dans un autre tableau. Si presque tous les maquillages sont réussis, il faut reconnaître que les difformités tenant lieu de personnages « asiatiques » dans Néo Séoul sont grotesques. On a été plusieurs à croire d’abord à des créatures moitié aliens, presque crédible dans un futur dystopique. Ça aurait marché si le scénario avait accrédité cette thèse… Dommage aussi pour la fiancée irlandaise d’Adam Ewing jouée par une Coréenne à tâches de rousseur post-incorporées.
Au-delà de ces fautes de goût prothétiques, j’ai été un peu frustrée par le développement très pauvre de l’histoire entre Zachary et Meronym, qui ne colle pas forcément avec la fin. Quant à la partie Néo Séoul, les courses-poursuites dans les airs et la chorégraphie au-dessus du vide qui y prennent place m’ont emmerdée, même si je les vois comme le quota d’action haletante à caser dans un des tableaux. L’ambiance oppressante et bien plus sobre de l’enquête de Luisa Rey, par exemple, m’a davantage parlé.
Ces quelques défauts ne font pourtant pas de Cloud Atlas un mauvais film, et il faut saluer la prouesse d’impliquer, de passionner et de garder accroché un téléspectateur pendant 2h50, autour d’une vingtaine de personnages hétéroclites, à des époques et dans des décors très disparates, tout en gardant une cohérence autour d’une idée directrice qui maintient le tout en place !
Les thèmes secondaires (en vrac : le féminisme, l'homosexualité, l'abandon des aînés,...) sont légion, et donnent l’occasion de discuter du film pendant un moment suite au visionnage.